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L’ESPRIT DE MÉTHODE ET DE DISCIPLINE.


ce qui fortifie l’adulte peut épuiser et dessécher l’enfant.

Ce n’est pas notre sensibilité seulement que Kant tient pour suspecte, c’est aussi celle de l’enfant ; et il se défie de l’inconstance de ses inclinations comme des imprudences de notre affection. Si nos ordres trouvent un secours dans la complicité de ses désirs et de ses plaisirs, nous n’irons point jusqu’à le refuser, pourvu que nous ne le cherchions jamais. Encore est-il souvent préférable d’habituer l’enfant à se faire de petites violences. L’éducation du cœur se résume en peu de mots chez Kant. Elle doit être négative. Il ne faut jamais compter sur la sensibilité, et il faut compter avec elle, pour la contenir et la prévenir. Un seul sentiment, car au respect convient à peine ce nom, — est excepté de cette condamnation sommaire, la patience, c’est-à-dire un sentiment qui consiste dans le silence de tous les autres. Kant ne redoute pas seulement la sensibilité pour le mal. Mais encore pour le bien qu’elle peut faire. Son secours est pour la moralité un alliage qui la déprécie. Il ne faut pas s’adresser au cœur de l’enfant, même pour exciter sa pitié. Car cette pitié serait faite de nerfs, comme nous dirions aujourd’hui, plus que de vertu. L’idée de devoir nous rend seule pitoyables de la bonne façon. Car il y a deux façons de faire même le bien. On le fait mécaniquement et moralement. La sensibilité, pur mécanisme mental, ne produit de l’action vertueuse que l’ombre et le mensonge.

Pour des raisons analogues, Kant bannit de l’éducation les récompenses, bonnes pour désapprendre à l’enfant ce qu’on s’efforce de lui apprendre, le sacrifice de ses petites passions et de ses petits intérêts. Mais il admet les punitions comme l’accompagnement obligé de toute désobéissance. Ces punitions doivent d’ailleurs être infligées sans colère. Car l’enfant doit voir en elles autre chose que la marque d’une force supérieure à la sienne, et de caprices devant lesquels ses caprices à lui doivent provisoirement s’incliner, à savoir la sanction inévitable et impassible d’une règle qui ne veut