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DE LA DOCTRINE DU DROIT.


qu’une action échappe à la loi pénale, il ne s’ensuit pas qu’elle soit légitime. C’est par une étrange confusion que les juristes concluent de l’impunité légale de certains actes à leur impunité absolue ou à leur légitimité. On a beau dire que « nécessité n’a pas de loi, » il n’y a pas de nécessité qui puisse rendre juste ce qui est injuste.

Les deux sortes de cas dont nous venons de parler contiennent une équivoque qui vient de ce que l’on ne distingue pas les sentences du tribunal de la conscience et celles du tribunal public. Ce que chacun déclare et a raison de déclarer juste en soi ne saurait toujours se faire admettre par les tribunaux ; et ce qu’il déclare et a raison de déclarer injuste en soi y peut être parfois absous. Il y a ici deux choses fort distinctes et qu’il faut bien se garder de confondre : le droit, tel qu’il dérive de la raison, et le droit, tel qu’il peut être déterminé par les lois et les tribunaux publics (1)[1].

Division générale de la doctrine du droit.

Après avoir montré en quoi consiste la doctrine du droit par opposition à celle de la vertu, et ce que c’est que le droit lui-même, il reste à en indiquer la division générale 2[2]. Rappelant d’abord les formules d’Ulpien : Honeste vive, neminem læde, suum cuique tribue, Kant pense qu’en interprétant ces trois formules classiques dans un certain sens, qui n’est peut-être

    conséquente avec la théorie qu’il exposera plus tard sur le fondement de la pénalité.

  1. (1) Nous verrons plus loin Kant expliquer et résoudre plusieurs contradictions juridiques par la distinction qu’il indique ici. En attendant, il est vrai de dire que les conditions auxquelles est nécessairement astreinte la justice civile et sans lesquelles elle serait livrée à l’arbitraire, peuvent, dans certains cas, déterminer des jugements, non-seulement contraires à l’équité, dans le sens large où on l’entendait tout à l’heure, mais même àce qui serait en soi strictement juste. Ainsi, en matière de réclamations, elle ne saurait connaître en général que ce qui a été régulièrement stipulé, et le défaut de telle formalité, qui doit être légalement exigée, l’empêche de faire droit à une plainte d’ailleurs tout à fait légitime. Sa décision, dans ce cas, n’est pas juste en soi ; mais elle l’est en ce sens qu’elle est telle que l’exige la légalité, dont les formes nécessaires sont la sauvegarde universelle contre l’arbitraire individuel. Le juge est enchaîné par les exigences de la loi ; il ne peut s’y soustraire qu’autant qu’elle-même le lui permet. Cela admis, il faut ajouter que, dans certains cas et dans une certaine mesure qu’elle déterminera, elle doit lui laisser cette latitude, et que, dans tous les cas, autant qu’il le peut sans en violer la lettre, il en doit surtout consulter l’esprit.
  2. 2 P.53-55.