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ANALYSE CRITIQUE


core, selon lui, considérer ce postulat comme une loi permissive de la raison pratique 1[1] : il nous permet en effet d’acquérir une faculté, que nous n’avions pas naturellement, celle d’imposer aux autres l’obligation, qu’ils n’auraient pas d’ailleurs, de s’interdire l’usage de certains objets que nous avons pris une fois en notre possession.

Pour que je puisse affirmer qu’une chose est mienne, il est nécessaire que je l’aie en ma possession : autrement je ne pourrais être lésé par l’usage qu’en feraient les autres et me plaindre d’une injustice commise à mon égard. Mais en quel sens faut-il entendre cette condition de la possession ? S’agit-il d’une possession purement physique ou de quelque autre espèce de possession ? Évidemment la première ne suffit pas : pour avoir le droit d’appeler mienne cette pomme, ce n’est pas assez que je la tienne à la main et que je la possède ainsi physiquement ; il faut encore que je puisse m’en déclarer le possesseur, alors même que je n’en suis plus le détenteur, et à ce titre la revendiquer comme mienne, en quelque lieu qu’elle se trouve. De même je ne saurais dire que ce terrain est mien parce que j’y suis assis ; pour le qualifier ainsi à juste titre, il faut que je puisse affirmer qu’il sera encore en ma possession, lorsque j’aurai changé de place. Il y a donc une espèce de possession fort distincte de la possession physique, et elle se reconnaît précisément à ce signe qu’elle en doit pouvoir être entièrement indépendante ; seule, cette dernière espèce de possession fonde le mien et le tien extérieurs. Si je ne faisais que posséder physiquement un certain objet, celui qui viendrait me le disputer, celui, par exemple, qui voudrait m’arracher cette pomme que je tiens à la main, ou me chasser de cette place où je suis assis, celui-là porterait sans doute atteinte à ma liberté personnelle, ou à ce que Kant appelle le mien intérieur ; mais je ne saurais l’accuser d’attenter à un mien extérieur, puisque je ne saurais affirmer que je serais en possession de la chose alors même que j’aurais cessé d’en être le détenteur.

La distinction qu’on vient de voir s’applique aux diverses classes de choses qui peuvent faire partie du mien et du tien

  1. 1 P. 68.