Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/523

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Qu’est-ce à dire ? que celui qui a une fois la puissance en mains ne se laisse pas dicter de lois par le peuple. Un État qui en est venu à ne connaître d’autre loi que la sienne ne se soumettra pas à la décision d’autres États sur la manière dont il doit soutenir son droit contre eux ; et même si une partie du monde se sent supérieure à une autre, qui d’ailleurs ne lui fait point obstacle, elle ne laissera pas perdre l’occasion d’agrandir sa puissance en s’emparant de celle-ci ou en la soumettant à sa domination. Ainsi tous nos plans théoriques sur le droit civil, le droit des gens et le droit cosmopolitique, ne seraient en définitive qu’un idéal vide et impraticable ; au contraire, une pratique fondée sur les principes empiriques de la nature humaine, et ne dédaignant pas de s’instruire de la façon dont les choses se passent dans le monde, pour en tirer ses maximes, pourrait seule espérer de trouver un fondement solide pour l’édifice de sa politique.

Sans doute, s’il n’y a point de liberté et de loi morale qui s’y fonde, et si tout ce qui arrive ou peut arriver n’est qu’un pur mécanisme de la nature, alors la politique (en tant qu’elle est l’art de se servir de ce mécanisme pour gouverner les autres) est toute la sagesse pratique, et l’idée du droit est un mot vide de sens. Mais si, au contraire, on trouve indispensable de joindre cette idée à la politique, et même d’en faire la condition restrictive de celle-ci, il faut bien admettre la possibilité de leur union. Or je puis bien concevoir un politique moraliste, c’est-à-dire un homme d’État n’admettant d’autres principes politiques que ceux que la morale peut avouer ; mais je ne conçois pas un moraliste politique, qui se forge une morale d’après les intérêts de l’homme d’État.

Le politique moraliste aura pour principe que, s’il se trouve, dans la constitution d’un État ou dans les rapports de cet État avec les autres, des fautes que l’on n’a pu éviter, c’est un devoir, surtout pour les chefs d’État, dussent-ils y sacrifier leur intérêt personnel, de chercher les moyens d’y remédier autant que possible, et de se rapprocher du droit naturel comme du modèle idéal que la raison nous met devant les yeux. Comme il serait contraire à la sagesse politique, laquelle est ici d’accord avec la morale, de rompre les liens de la société civile ou cosmopolitique avant d’avoir une meilleure constitution à substituer immédiatement à l’ancienne, il serait