Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/525

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rience, en leur faisant voir qu’ils ne sont point d’accord avec la nature, les ramènera peu à peu dans une voie meilleure ; mais les politiques qui accommodent la morale à leurs desseins[ndt 1], ceux-là, en prétendant justifier des principes contraires au droit par ce prétexte que la nature humaine est incapable de réaliser l’idée du bien que la raison lui prescrit, rendent, autant qu’il dépend d’eux, toute amélioration impossible, et éternisent la violation du droit.

Au lieu de cette science pratique[ndt 2] dont ils se vantent, ces hommes politiques, uniquement occupés à encenser (dans leur propre intérêt) le pouvoir actuellement existant, descendent à des manœuvres[ndt 3] par lesquelles ils livrent le peuple et livreraient le monde entier, s’ils le pouvaient. C’est ce qui arrive aux purs juristes (aux juristes de profession ; je ne parle pas de ceux qui font la législation[ndt 4]), quand ils s’élèvent jusqu’à la politique. En effet, comme ils n’ont pas pour fonction de raisonner sur la législation elle-même, mais d’exécuter les prescriptions actuelles du Code, la meilleure constitution pour eux doit toujours être la constitution actuellement existante, ou, lorsque celle-ci vient à être modifiée en haut lieu, celle qui lui succède, et rien ne saurait les faire sortir de l’ordre mécanique auquel ils sont accoutumés. Que si cette habileté, qui les rend propres à tout, leur inspire la vanité de croire qu’ils peuvent aussi juger les principes d’une constitution politique en général d’après les idées du droit (par conséquent à priori, non empiriquement) ; s’ils se vantent de connaître les hommes (ce qu’il faut à la vérité attendre d’eux, car ils ont affaire à beaucoup), quoiqu’ils ne connaissent pas l’homme et ce que l’on en peut faire (parce qu’il faudrait pour cela observer la nature humaine d’un point de vue plus élevé), et si, munis de ces idées, ils abordent le droit civil et le droit des gens, tels que la raison les prescrit, ils ne peuvent qu’y porter leur esprit de chicane et y appliquer leurs procédés ordinaires (le mécanisme qui se fonde sur des lois de contrainte dictées par une volonté despotique), tandis que les idées de la raison exigent que la contrainte juridique soit fondée uniquement sur

  1. Dei moralisirenden Politiker.
  2. Praxis.
  3. Practiken.
  4. Vom Handwerke, nicht von der Gesetzgebung.