Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/532

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quoiqu’ils aient tort en général de refuser tout respect à l’idée du droit, qui seule pourrait fonder une paix éternelle. Car, puisque l’un viole son devoir envers l’autre, qui est tout aussi malintentionné à son égard, il leur arrive à tous deux une chose juste, quand ils s’entre-détruisent, mais de façon à ce qu’il reste encore assez de cette race pour faire durer ce jeu jusque dans les siècles les plus reculés et fournir ainsi à la postérité une effrayante leçon. La Providence qui règle le cours du monde est ici justifiée ; car le principe moral ne s’éteint jamais dans l’homme, et les progrès sans cesse croissants de la raison le rendent pragmatiquement plus propre à réaliser ; conformément à ce principe, les idées juridiques, mais aussi plus coupable quand il y manque. Pourtant la création qui a mis sur la terre une telle race d’hommes perdus en général ne semble pouvoir être justifiée par aucune théodicée (si l’on admet que le genre humain ne puisse jamais s’améliorer) ; mais le point de vue où devrait se placer notre jugement est beaucoup trop élevé pour que nous puissions appliquer, sous le rapport théorétique, nos idées (sur la sagesse) à la puissance infinie, laquelle nous est impénétrable. — Telles sont les déplorables conséquences auxquelles on est inévitablement conduit, quand on n’admet pas que les purs principes du droit aient de la réalité objective, c’est-à-dire qu’ils soient praticables. Quoi que puisse objecter la politique empirique, c’est d’après ces principes que doivent agir le peuple dans l’État et les divers États dans leurs rapports entre eux. La vraie politique ne peut donc faire un pas sans avoir auparavant rendu hommage à la morale ; et, si la politique est par elle-même un art difficile, jointe à la morale, elle cesse d’être un art, car celle-ci tranche les nœuds que celle-là ne peut délier, aussitôt qu’elles ne sont plus d’accord. — Les droits de l’homme doivent être tenus pour sacrés, quelque grands sacrifices que cela puisse coûter au pouvoir qui gouverne. On ne saurait faire ici deux parts égales et imaginer le moyen terme d’un droit soumis à des conditions pragmatiques (tenant le milieu entre le droit et l’utilité) ; mais toute politique doit s’incliner devant le droit, et c’est ainsi seulement qu’elle peut espérer d’arriver, quoique lentement, à un degré où elle brille d’un éclat durable.