Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/547

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nécessité de limiter la volonté à la condition de n’adopter que des maximes compatibles avec une législation universelle, quelque objet d’ailleurs ou quelque but qu’on se puisse proposer (fût-ce même le bonheur), car on fait ici tout à fait abstraction de l’objet ou du but de la volonté. Dans la question du principe de la morale, on peut donc passer sous silence et mettre de côté (comme épisodique) la doctrine du souverain bien, ou du but dernier d’une volonté que la morale détermine et qui se conforme à ses lois ; on voit d’ailleurs par la suite que, dans ce qui fait le point particulier du débat, ce n’est point à cela que l’on a égard, mais simplement à la morale générale.

b. M. Grave rapporte ces propositions de la manière suivante : « L’homme vertueux ne peut ni ne doit jamais négliger ce point de vue (du bonheur personnel), — parce qu’autrement il perdrait absolument le passage qui le conduit dans un monde invisible, c’est-à-dire à la conviction de l’existence de Dieu et de l’immortalité, conviction qui, d’après cette théorie, est absolument nécessaire pour donner au système son soutien et sa solidité  ; » et il conclut en cherchant à résumer brièvement et exactement de cette manière l’ensemble de l’assertion qu’il m’attribue : « L’homme vertueux cherche incessamment, d’après ces principes, à être digne du bonheur ; mais, en tant qu’il est véritablement vertueux, il ne cherche jamais à être heureux, » (L’expression en tant que fait ici une amphibologie qu’il faut d’abord dissiper. Elle peut signifier : dans l'acte par lequel il se soumet, en homme vertueux, à son devoir ; et cette proposition concorde parfaitement avec ma théorie. Ou bien : quand il est en général vertueux, de telle sorte qu’alors même qu’il ne s’agit pas pour lui de devoir, et qu’il n’agit en rien contrairement au devoir, l’homme vertueux ne doit avoir aucun égard au bonheur ; et cela est tout à fait contraire à mes assertions.)

Ces objections ne sont donc autre chose que des malentendus[ndt 1] (car je ne veux pas les tenir pour des interprétations fâcheuses[ndt 2]), et il y aurait lieu de s’en étonner si le penchant qu’ont les hommes à suivre, dans leur appréciation des idées d’autrui, le cours accoutumé de leur propre pensée, et à

  1. Missverstaendnisse
  2. Missdeutungen