Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/555

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coutumait à décharger entièrement la vertu de tout le riche butin des avantages qu’elle peut recueillir de l’observation du devoir et à l’envisager dans toute sa pureté ; si cela était un principe dont on fit constamment usage dans les enseignements privés et publics, la moralité humaine s’en trouverait beaucoup mieux (malheureusement cette méthode pour inculquer les devoirs est presque toujoms négligée). Si l’expérience de l'histoire n’a pu constater jusqu’à présent l’heureux succès des doctrines morales, cela vient justement de là : on a faussement supposé que le mobile tiré de l’idée du devoir en soi est beaucoup trop subtil pour le commun des esprits, et qu’au contraire le mobile plus grossier qui se tire de certains avantages à attendre, dans cette vie ou même dans une vie future, de l’accomplissement de la loi (sans qu’il soit besoin de faire de cette loi même le mobile de sa conduite), est de nature et agir plus efficacement sur l’âme ; et, dans l’éducation et dans la chaire, on s’est fait un principe de placer l’aspiration au bonheur avant ce dont la raison fait la condition suprême du bonheur méme, à savoir ce qui nous rend dignes d’ètre heureux. En effet, les préceptes qui nous enseignent les moyens d’être heureux, ou du moins d’éviter ce qui peut nous nuire, ne sont pas des ordres ; ils n’obligent personne absolument, et chacun peut, après avoir été prévenu, prendre le parti qui lui semble bon, s’il lui plait de souffrir ce qui peut lui arriver. Il n’a pas sujet de regarder comme des punitions les maux qui peuvent venir de ce qu’il a négligé le conseil qui lui avait été donné, car les punitions ne tombent que sur une volonté libre, mais contraire à la loi ; or la nature et l'inclination ne peuvent donner des lois à la liberté. Il en est tout autrement de l’idée du devoir : la transgression du devoir, considérée même indépendamment des inconvénients qui peuvent en résulter, agit immédiatement sur l'âme et rend l’homme à ses propres yeux méprisable et digne de punition.

Il est donc clairement prouvé par là que tout ce qui, dans la morale, est bon en théorie est bon aussi en pratique. — En qualité d’homme soumis par sa propre raison à certains devoirs, chacun est un homme d’affaires[ndt 1]; et, comme, en qualité

  1. Geschaftsmann.