Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/574

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Et par quel autre moyen le gouvernement peut-il acquérir la connaissance de ce qu’il a besoin de savoir pour remplir sa propre mission, s’il ne laisse pas se manifester l’esprit de liberté si respectable dans son origine et dans ses effets ?

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Nulle part la pratique, qui néglige tous les principes de la raison pure, ne proclame avec plus d’arrogance sa supériorité sur la théorie que dans la question des conditions qu’exige une bomie constitution civile. La cause en est qu’une constitution légale, existant depuis longtemps, accoutume peu à peu le peuple à juger son bonheur ainsi que ses droits d’après l’état où tout a suivi jusque-là un paisible cours, au lieu de l’estimer lui-méme d’après les idées que la raison nous donne de ces deux choses, et à préférer toujours cet état passif au danger d’en chercher un meilleur (car on peut appliquer ici ce qu’Hippocrate conseille aux médecins de prendre en considération : judicium anceps, experimentum periculosum). Or, comme toutes les constitutions existantes depuis assez longtemps, quelques défauts qu’elles puissent avoir d’ailleurs, donnent ici, malgré leur variété, le même résultat, e’est-à-dire que l’on est toujours satisfait de celle dans laquelle on vit, aucune théorie n’a de valeur, lorsque l’on considère le bien-être du peuple[1], mais tout dépend d’une pratique qui obéit à l’expérience.

Mais, s’il y a dans la raison quelque chose qui réponde à ce qu’exprime le mot droit civil, et si cette idée a pour les hommes, qui sont entre eux en antagonisme par leur liberté, une force obligatoire, par conséquent une réalité objective (pratique), indépendamment de toute considération du bien ou du mal physique qui en peut résulter pour eux (et dont la connaissance repose uniquement sur l’expérience), elle se fonde sur des principes a priori (car l’expérience ne peut enseigner ce que c’est que le droit), et il y a une théorie du droit civil, en dehors de laquelle toute pratique est sans valeur. Or on ne peut rien opposer à cela, sinon que, quand même les hommes auraient dams l’esprit l’idée des droits qui leur ap-.

  1. Volkswohlergehen