Page:Kant - Anthropologie.djvu/206

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accrue par la comparaison qu’il en fait avec la souffrance d’autrui, et sa propre douleur affaiblie lorsqu’il la compare avec un malheur semblable ou plus grand dans les autres. Mais ce phénomène est purement psychologique (d’après le principe des contrastes : opposita juxta se posita magis elucescunt) et n’a rien à démêler avec la morale, comme serait, par exemple, de désirer du mal à autrui afin d’avoir un sentiment plus intime du bonheur de son propre état. On compatit par l’imagination au malheur d’autrui (tout de même que, quand on voit quelqu’un perdre l’équilibre et au moment de tomber, on se porte involontairement et en vain du côté opposé, comme pour le remettre debout), et l’on n’est heureux que de n’être pas compris dans le même sort[1]. C’est ce qui fait courir le peuple avec une ardente curiosité sur le passage d’un condamné et au lieu de son supplice, comme à un spectacle. Car les mouvements de l’âme et les sentiments qui s’observent sur son visage et dans son maintien, agissent sympathiquement sur le spectateur, et laissent, après la pénible émotion occasionnée par l’imagination (dont la force est encore accrue par la solennité du spectacle), le sentiment doux, mais cependant sévère, d’un relâchement qui le rend d’autant plus sensible aux jouissances futures de la vie.

  1. Suave mari magno, turbantibus æquora ventis,
    E terra alterius magnum spectare laborem ;
    Non quia vexari quemqnam est jucunda yoluptas,
    Sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est.

    Lucretius.