Page:Kant - Anthropologie.djvu/221

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goût, lequel peut être fondé sur l’imitation, mais encore de l’originalité de pensée ; et cette originalité est appelée esprit, parce qu’elle s’inspire d’elle-même. — Le peintre de la nature, qu’il se serve du pinceau ou de la plume (que dans ce dernier cas il écrive en prose ou en vers), n’est pas un esprit créateur (der schone Geist), parce qu’il ne fait qu’imiter ; le peintre des idées seul est le maître des beaux-arts.

Pourquoi entend-on ordinairement par poëte celui qui compose en vers, c’est-à-dire qui fait un discours scandé (débité en cadence, comme de la musique) ? C’est que, annonçant une œuvre d’art, il se présente avec une solennité qui doit satisfaire le goût le plus délicat (quant à la forme) ; autrement ce ne serait pas beau. — Mais comme cette solennité est exigée le plus souvent pour la belle expression du sublime, Hugue Blair l’a appelée « de la prose en délire » lorsqu’elle affecte cette solennité sans prendre la forme du vers. — D’un autre côté aussi, toute composition en vers n’est pas poésie ; c’est ce qui arrive si elle manque d’esprit.

Pourquoi la rime, si elle termine heureusement la pensée, est-elle dans les vers des poëtes modernes une exigence du goût pour notre partie du monde ? Pourquoi au contraire répugne-t-elle dans les vers de l’antiquité, à tel point, d’une part, que des vers non rimée, en allemand, par exemple, plaisent peu, et que d’un, autre côté des vers latins de Virgile mis en rimes sont encore moins supportables ? Cela tient sans doute à ce que la prosodie était déterminée chez les anciens poë-