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DU GOUT. 211

tes classiques, tandis quelle manque en grande partie dans les langues modernes, et qu’alors l’oreille est comme indemnisée par la rime qui termine le vers par une conçonnance avec le précédent. Dans un discours solennel en prose, une rime qui tomberait par hasard entre deux propositions~serait déplacée. D’où vient la licence poétique, qui n’est cependant pas accordée à l’orateur, de manquer çà et là aux lois du langage? C’est sans doute afin qu’il ne soit pas trop empêché par la loi de la forme d’exprimer une grande pensée. Pourquoi un poëme médiocre est-il insupportable, tandis qu’un discours médiocre se tolère encore? La raison parait en être que la solennité du ton dans toute production poétique produit une grande attente, et que cette attente n’étant pas satisfaite comme d’habitude, la chute est plus grande encore qu’elle ne le serait si la composition était en prose. — La conclusion d’un poëme par un vers qui peut faire sentence produit une satisfaction d’arrière-goût, qui abrège l’insipidité de ce qui précède ; l’art du poète y est donc intéressé. Si la veine poétique tarit dans un siècle où les sciences promettent toujours à un bon esprit une bonne santé et de l’activité dans les affaires, c’est que la beauté est une fleur, et la science un fruit. C’est-à-dire que la poésie doit être un art libre, qui, par sa diversité même, demande de la légèreté, et qu’à notre époque cette légèreté de sens (et avec raison) disparaît. C’est encore que l’habitude d’avancer toujours