Page:Kant - Anthropologie.djvu/378

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qu’il n’a jamais de raison de s’exalter ? La manie est tout à fait au-dessus de ses capacités. S’il est jamais malade du cerveau, il sera imbécile ou frénétique. Encore cet accident doit-il être extrêmement rare, car il est généralement sain, parce qu’il est libre et se meut. C’est dans l’état social que se rencontrent proprement les ferments de toute cette corruption, qui, tout en ne la produisant pas, servent néanmoins à l’entretenir et à l’aggraver. L’entendement, considéré dans la mesure des nécessités et de la satisfaction des besoins simples de la vie, est un entendement sain ; mais envisagé par rapport au luxe artificiel, en matière de jouissances ou de sciences, c’est un entendement délicat. L’entendement sain du bourgeois serait donc un entendement déjà très délicat pour des hommes naturels, et les notions qui, dans certains états, supposent un entendement fin, ne conviennent plus aux hommes rapprochés de la simplicité de la nature, au moins dans les vues, et font ordinairement des fous quand elles prennent cette forme. L’abbé Terrasson divise tous les esprits dérangés en deux classes, ceux qui raisonnent juste en partant d’idées fausses, et ceux qui raisonnent mal en partant d’idées vraies. Cette division ne concorde pas trop mal avec les propositions qui précèdent. Dans ceux de la première espèce, les fantastes ou hallucinés, l’entendement ne souffre pas, à proprement parler ; il n’y a de malade que la faculté qui éveille dans l’âme les notions dont le jugement se sert ensuite pour les comparer. On peut très bien opposer à ces malades des jugements de raison, sinon pour les guérir, au moins pour amoindrir leur mal. Mais ceux de la seconde espèce, les délirants et les maniaques, ayant l’entendement même attaqué, il est non seulement insensé de raisonner avec eux (puisqu’ils ne seraient pas en délire s’ils pouvaient saisir ces principes de raison), mais c’est encore très dangereux ; on ne fait que donner à leur tête bouleversée une nouvelle matière à fabriquer de l’absurde. La contradiction ne leur fait aucun bien ; elle les irrite au contraire, et il faut absolument prendre avec eux des manières calmes et bienveillantes, tout comme si l’on ne marquait aucun vice dans leur entendement.