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RÊVES D'UN HOMME QUI VOIT DES ESPRITS.


ble[1]. Elle y sent comme l’araignée au centre de sa toile ; les nerfs du cerveau l’excitent, rébranlent, et font que, non pas cette impression immédiate, mais celle qui a lieu aux parties les plus éloignées du corps, est représentée cependant comme un objet présent hors du cerveau. De ce siège elle met en jeu les cordages, les leviers de toute la machine, et produit à plaisir des mouvements volontaires. De semblables propositions ne sont que peu ou point susceptibles de preuves ; et comme la nature de l’âme n’est pas connue au fond, elles ne sont pas plus réfutables. Je ne m’engagerais donc pas dans des querelles d’école, où le plus souvent les deux parties parlent d’autant plus qu’elles ont moins d’idées de la chose en question ; je me contenterais de suivre les conséquences auxquelles peut conduire une doctrine de cette espèce. Or, comme d’après les propositions

  1. On a des exemples de lésions avec perte d’une bonne partie du cerveau, sans qu’il y ait perte de la vie de l’intelligence. Suivant l’opinion commune que je cite ici, la perte d’un atome de la substance cérébrale, ou un simple déplacement, ferait mourir un homme sur le champ. L’opinion dominante, d’assigner à l’âme une place dans le cerveau, semble avoir principalement son origine en ce que l’on sent clairement, dans une forte application de l’esprit, que les nerfs du cerveau sont tendue. Mais, si ce raisonnement était vrai, il prouverait aussi que l’âme occupe d’autres lieux. Dans l’anxiété ou dans la joie, la sensation semble avoir son siège dans le cœur. Un grand nombre de passions, la plupart même, font éprouver leur principal effet au diaphragme. La compassion affecte les entrailles, et d’autres instincts surgissent et se font sentir dans d’autres organes. La cause qui fait que l’on croit principalement sentir dans le cerveau l’âme pensante est peut-être celle-ci : Toute réflexion exige l’intervention des signes pour exciter les idées au point d’obtenir le degré de clarté nécessaire à leur accompagnement et à leur soutien. Or, les signes de nos représentations sont principalement ceux qui sont éprouvés par l’ouïe ou par la vue, deux sens qui sont mis en mouvement par les impressions cérébrales, puisque leurs organes sont aussi très rapprochée de cette partie du corps. Si donc l’excitation de ces signes, que Descartes appelle ideas materiales, est proprement une sollicitation des nerfs à un mouvement semblable à celui qui a produit auparavant la sensation, alors le tissu du cerveau est principalement obligé de vibrer à l’unisson des impressions précédentes, et s’en trouve fatigué. Car si la pensée est en même temps passionnée, on se sent non seulement des contentions cérébrales, mais aussi des attaques des parties irritables, qui sont d’ailleurs en sympathie avec les représentations de l’âme en état de passion.