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RÊVES D'UN HOMME QUI VOIT DES ESPRITS.


préhensibilité n’est-elle pas naturelle, puisque les notions que nous avons des actions extérieures sont prises des notions de la matière, et qu’elles sont inséparables des conditions de la pression et du choc, qui n’ont pas lieu dans le cas présent ! Car enfin comment une substance incorporelle serait-elle sur le chemin de la matière, pour que celle-ci, dans son mouvement, heurtât un esprit ? et comment des choses corporelles pourraient-elles exercer des effets sur un être hétérogène qui ne leur est pas impénétrable, ou qui ne les empêche en aucune façon de se rencontrer dans l’espace où il est présent ? Il semble qu’un être spirituel soit intimement présent à la matière à laquelle il est uni, et qu’il agit non sur les forces des éléments avec lesquelles ces éléments sont en rapport entre eux, mais sur le principe interne de leur état ; car chaque substance, et même un élément simple de la matière, doit cependant avoir quelque activité interne comme principe de l’action externe, quoique je ne puisse pas dire en quoi consiste cette activité[1]. D’un autre côté, avec de semblables principes, l’âme connaîtrait

    principe de la vie ; bref, celles qui ont la faculté, la volonté propre de se déterminer d’elles-mêmes et de changer, peuvent être difficilement corporelles. On ne peut pas raisonnablement demander qu’une espèce d’êtres si méconnue, qu’on ne connaît le plus souvent que d’une manière hypothétique, soit comprise dans les divisions de ses différents genres. Il y a du moins des êtres immatériels qui contiennent la raison de la vie animale, qui diffèrent de ceux qui comprennent la raison dans leur activité propre, et qui sont appelés des esprits.

  1. Leibniz disait que ce principe interne de tous ses rapports extérieurs et de leurs changements est une force représentative, et des philosophes plus récente ont accueilli cette pensée non développée avec dérision. Mais ils n’auraient peut-être pas mal fait s’ils s’étaient auparavant demandé si une substance, telle qu’une partie simple de la matière, serait donc possible dans tout état interne ; et si par hasard ils n’avaient pas voulu exclure cet état, ils devaient imaginer quelque autre état interne possible que celui des représentations et des activités qui en dépendent. Chacun aperçoit de soi-même que tout en attribuant aux éléments de la matière une faculté de représentations obscures, il n’en résulte encore aucune faculté représentative de la matière même, parce qu’un grand nombre de substances de cette espèce liées en un tout, ne peuvent cependant jamais former une unité pensante.