Page:Kant - Anthropologie.djvu/401

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Il serait beau si une constitution systématique du monde spirituel, telle que nous la concevons, pouvait être conclue, ou même vraisemblablement présumée, en partant non seulement de la notion de la nature spirituelle en général, qui est très hypothétique, mais aussi d’une observation réelle et universellement reconnue. J’ose donc, comptant sur la bienveillance du lecteur, esquisser ici une étude de cette espèce : quoique un peu en dehors de mon sujet, et très loin aussi de l’évidence, elle me semble cependant prêter à des conjectures d’un certain intérêt.

Au nombre des facultés qui meuvent l’esprit humain, quelques-unes des plus puissantes semblent lui être étrangères ; elles ne se rapportent donc pour ainsi dire pas comme simples moyens à l’utilité personnelle ni aux besoins individuels comme à une fin qui est intérieure à l’homme même ; elles font au contraire que les tendances de nos passions transportent le foyer de leur réunion hors de nous dans d’autres êtres raisonnables, d’où résulte une lutte de deux forces, de l’égoïsme qui rapporte tout à soi, et du bien public par lequel l’âme est poussée hors d’elle-même et attirée vers autrui. Je ne m’arrête pas au mobile qui nous fait adhérer si fortement et si généralement à l’opinion des autres, et nous fait estimer l’approbation ou l’assentiment étranger si nécessaire pour asseoir notre manière définitive de voir propre. De là, quoique ce soit assez souvent un faux point d’honneur, un trait secret dans le sentiment le plus impersonnel et le plus vrai, celui de comparer aa jugement des autres ce qu’on estime bon ou vrai pour soi-même, et de mettre d’accord ces deux façons de voir. C’est aussi comme une manière de rattacher chaque âme humaine au vrai mode de connaître, quand elle semble marcher dans une autre voie que celle que nous avons suivie. Tout cela pourrait bien être le sentiment de la dépendance de notre propre jugement à l’égard de l’entendement humain universel,