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RÊVES D'UN HOMME QUI VOIT DES ESPRITS.


et un moyen de procurer à tout être pensant une espèce d’unité rationnelle.

Mais je ne m’arrête pas davantage à une considération qui n’est pas d’ailleurs sans intérêt, et je m’attache pour le moment à une autre qui est plus manifeste et plus importante au point de vue qui nous occupe. Quand nous rapportons des choses extérieures à l’un de nos besoins, nous ne pouvons le faire sans nous sentir en même temps liés et limités par une certaine sensation, qui nous fait remarquer comme la puissance d’une volonté différente de la nôtre, et que notre bon plaisir propre est nécessairement subordonné à un assentiment étranger. Une puissance secrète nous force à régler en même temps nos vues d’après l’intérêt d’autrui ou suivant une volonté qui n’est pas la nôtre, quoique la chose arrive souvent malgré nous, et qu’elle contrecarre fortement l’inclination personnelle. Le point de rencontre des lignes de nos mobiles n’est donc pas simplement en nous ; il y a aussi des forces hors de nous qui nous meuvent dans l’intérêt d’autrui. De là des impulsions morales qui nous emportent souvent malgré l’intérêt personnel, la forte loi de la justice, la loi moins impérieuse de la bienfaisance, qui nous portent l’une et l’autre au sacrifice. Et quoique toutes deux ne soient que trop souvent dominées par l’égoïsme, jamais cependant elles ne manquent de se montrer dans la nature humaine. C’est ainsi que, dans les mobiles les plus intimes, nous nous trouvons dépendre de la règle de la volonté universelle, et qu’il en résulte dans le monde de toutes les natures pensantes une unité morale et une constitution systématique suivant des lois toutes spirituelles. Appeler sentiment moral cette nécessité en nous sentie de l’accord de notre volonté avec la volonté universelle, ce n’est en parler que comme d’un phénomène de ce qui précède réellement en nous, sans rien prononcer sur ses causes. C’est ainsi que Newton appelait gravitation la loi certaine de la tendance de toute matière à se rapprocher, parce qu’il voulait mettre ses démonstrations mathématiques à l’abri de toutes les discussions