Page:Kant - Anthropologie.djvu/432

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que l’illusion de la raison dont les causes sont suffisamment connues, et qui pourrait en grande partie être évitée par une direction volontaire des facultés, et par une plus ferme répression d’une vaine curiosité, quand au contraire l’illusion des sens touche au premier fondement de tous nos jugements, et que, s’il y a quelque chose de faux, les règles de la logique n'y peuvent pas grand’chose. Je distingue donc dans notre auteur le délire (Wahnsinn) de la manie (Wahnwitze), et je passe ces fausses subtilités, puisqu’il n’est pas fixe dans ses visions ; précisément comme il arrive souvent à un philosophe, qui doit séparer ce qu’il observe de ce qu’il raisonne, et dont les spécieuses apparences sont la plupart du temps d’une instruction supérieure aux spécieux principes tirés de la raison. Puis donc que je dérobe au lecteur des instants qu’il n’aurait peut-être pas employés bien plus utilement à la lecture d’ouvrages plus solides sur le même sujet, j’ai dû me préoccuper aussi de la délicatesse de son goût. J’ai donc laissé de côté un assez bon nombre d’étranges chimères ; j’ai réduit la quintessence du livre à quelques gouttes. En quoi le lecteur ne m’est pas moins obligé que croyait l’être un certain malade à ses médecins, qui ne lui avaient fait dévorer que l’écorce du quinquina, quand ils auraient pu facilement lui faire manger l’abre tout entier.

M. Swedenborg distinguait ses visions en trois classes ; la première consistait à être affranchi du corps ; c’était un état mitoyen entre la veille et le sommeil, où il voyait, entendait et sentait des esprits. Il l’a connu trois ou quatre fois. La seconde est d’être ravi par l’esprit, comme de cheminer dans la rue sans se tromper, quoiqu’il soit en esprit dans des contrées toutes différentes, et qu’il voie clairement ailleurs des maisons, des hommes, des forêts, etc., et que cet état dure plusieurs heures, jusqu’à ce qu’il soit rendu subitement à sa véritable place. C’est ce qu’il a éprouvé deux ou trois fois. La troisième espèce de phénomènes est ordinaire ; il l’éprouve journellement dans le plein état de veille, et c’est là ce qui défraie principalement ses récits.