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DE LA RAISON PURE


mais à des points de vue différents. Kant convient (p. 138) que cette distinction, présentée d’une manière générale et tout à fait abstraite, doit paraître extrêmement subtile et obscure ; mais il ajoute qu’elle s’éclaircira dans l’application. Pourtant, avant de la suivre dans cette application, il faut bien voir en quoi elle consiste en général.

On sait que, selon lui, nous ne connaissons pas les choses, internes ou externes, telles qu’elles sont en elles-mêmes, mais seulement comme elles nous apparaissent en vertu des formes ou des lois de notre sensibilité et de notre entendement. Il faut donc distinguer, dans tout objet de perception, la chose en soi du phénomène, ou, en d’autres termes, l’intelligible du sensible. Le premier, à la vérité, ne peut être pour nous un objet de connaissance ; mais, si nous ne pouvons le déterminer, nous pouvons du moins le concevoir comme distinct du second. Or, en nous plaçant à ce double point de vue, nous pouvons très bien concevoir que la même action qui, en tant qu’effet dans le monde sensible, doit être considérée comme soumise à la loi de la nature ou comme nécessairement déterminée par ce qui précède, soit, comme action d’une chose en soi, indépendante de cette loi. Puisqu’en effet le phénomène n’est pas la chose en soi, mais qu’il doit avoir pour fondement une chose en soi, « rien ne nous empêche, dit Kant (p. 140) d’attribuer à cet objet transcendental, outre la propriété qui en fait un phénomène, une causalité qui ne soit pas un phénomène, bien que son effet se rencontre dans le phénomène. » Comme phénomène, il resterait soumis à la loi qui veut que tout ce qui arrive dans la nature soit déterminé par ce qui précède suivant un enchaînement nécessaire ; mais, comme objet intelligible, échappant ainsi à la condition du temps, qui est celle des phénomènes, il échapperait aussi à cette loi, et l’on pourrait, à ce point de vue, le concevoir comme une cause véritablement spontanée, commençant d’elle-même l’action, bien que ses effets dans le monde sensible doivent être rattachés aux effets précédents suivant la loi de la nature. « Ainsi, conclut Kant (p. 142), la liberté et la nature, chacune dans son sens parfait, se rencontreraient ensemble et sans aucune contradiction dans les mêmes actions, suivant qu’on les rapprocherait de leurs causes intelligibles ou de leurs causes sensibles. »