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DE LA RAISON PURE

Mais, précisément parce que nous sortons ici de la série des conditions du monde sensible, il est nécessaire de bien assurer nos pas dans cette nouvelle voie, ou de chercher en quel sens et jusqu’où nous pouvons nous y avancer. La raison n’a pas le droit de tenir pour impossible l’existence d’un être nécessaire, mais quel usage doit-elle faire de l’idée d’un tel être ? C’est ce qu’il faut maintenant rechercher, et ce que Kant examine dans un nouveau chapitre intitulé Idéal de la raison pure.

De l’idéal transcendental de la raison pure.

Les idées de la raison expriment en général une certaine perfection qu’aucune expérience ne saurait représenter et où la raison ne voit qu’une unité systématique dont elle cherche à rapprocher l’unité empirique possible, sans pouvoir jamais l’atteindre. Concevez maintenant cette perfection dans un être individuel (in individuo), l’homme, par exemple, et l’idée devient, alors l’idéal. Les idées ainsi conçues étaient pour Platon des objets de l’entendement divin, où elles résidaient comme les types de tout objet individuel dans le monde sensible ; Kant ne prétend pas s’élever si haut : il se borne à reconnaître dans la raison humaine la puissance de concevoir certaines idées sous la forme d’un idéal qui doit servir de règle à nos jugements ou de type à nos actions. Tel est l’idéal du sage, comme le concevaient, par exemple, les Stoïciens. Une telle idée ne peut sans doute jamais être réalisée : il est même peu sensé de vouloir la représenter dans une peinture romanesque ; mais cet idéal n’est pas pour cela une pure chimère : il nous fournit au contraire une mesure indispensable pour nous juger et nous corriger nous-mêmes, de manière à nous rapprocher toujours davantage de la perfection, mais sans pouvoir jamais l’atteindre. Il faut aussi se bien garder de confondre l’idéal de la raison pure, qui doit toujours reposer sur des concepts déterminés et servir de règle ou de type à nos jugements ou à nos actions, avec celui que les peintres, par exemple, croient avoir à priori dans l’esprit, mais qui n’est qu’une image flottante au milieu d’expériences diverses, et mériterait plutôt d’être appelé un idéal de la sensibilité et de l’imagination, bien que cette expression même d’idéal ne lui convienne guère, car il ne fournit aucune règle susceptible d’une définition.

Pour mieux faire comprendre ce qu’il entend en général par l’idéal, Kant a pris un exemple emprunté à l’ordre moral ou à