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ANALYSE DE LA CRITIQUE


que dans le monde sensible. Dira-t-on qu’il est impossible d’ad mettre dans le monde sensible une série infinie de causes subordonnées les unes aux autres, et qu’il faut nécessairement s’arrêter à une cause première ; Kant n’admet pas que les principes de la raison nous autorisent à rompre la chaîne des êtres sensibles pour la rattacher à un être supra-sensible ; et il tient pour un faux contentement celui qu’on éprouve en croyant achever cette série par cela seul qu’on en écarte à la fin toute condition : « comme alors, dit-il (p. 200), on ne peut plus rien comprendre, on prend cette impuissance pour l’achèvement de son concept. » Et il termine par ces paroles, qui méritent d’être citées textuellement : « La nécessité absolue dont nous avons si indispensablement besoin, comme du dernier soutien de toutes choses, est le véritable abîme de la raison humaine. L’éternité même, sous quelque sublime et effrayante image que l’ait dépeinte Haller, ne frappe pas à beaucoup près l’esprit de tant de vertige ; car elle ne fait que mesurer la durée des choses, elle ne les soutient pas. On ne peut ni éloigner de soi ni supporter cette pensée qu’un être, que nous nous représentons comme le plus élevé entre tous les êtres possibles, se dise en quelque sorte à lui-même : je suis de toute éternité ; en dehors de moi, rien n’existe que par ma volonté ; mais d’où suis-je donc ? Ici tout s’écroule au-dessous de nous, et la plus grande perfection, comme la plus petite, flotte suspendue sans soutien devant la raison spéculative, à laquelle il ne coûte rien de faire disparaître l’une et l’autre sans le moindre empêchement. »

Ainsi les deux preuves que Kant vient d’examiner sont impuissantes à démontrer l’existence d’un être nécessaire ; mais d’où vient l’apparence dialectique qui nous trompe ici et qui, pour être sophistique, n’en est pas moins naturelle ? C’est ce que Kant veut montrer avant de passer à la preuve physico-théologique ; et, bien que cette explication ne fasse que reproduire celle qui lui a déjà servi à résoudre la quatrième antinomie, je la résumerai brièvement. La raison se trouve ici en présence de deux principes, dont l’un la pousse à chercher pour tout ce qui est donné comme existant quelque chose qui soit absolument nécessaire, c’est-à-dire à ne s’arrêter nulle part ailleurs que dans une explication achevée à priori, et dont l’autre lui défend d’opérer jamais cet achèvement et de désespérer ainsi de toute ex-