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ANALYSE DE LA CRITIQUE


proposant pour but une idée tout à fait opposée à la constitution de la nature. On ne peut pas dire non plus qu’elle ait tiré d’abord de la constitution contingente de la nature cette unité conforme à ses principes. En effet, la loi de la raison qui veut qu’on la cherche est nécessaire, puisque sans cette loi il n’y aurait plus de raison, sans raison plus d’usage régulier de l’entendement, sans cet usage plus de marque suffisante de la vérité empirique, et que par conséquent nous devons, en vue de celle-ci, présupposer l’unité systématique de la nature comme ayant une valeur objective et comme étant nécessaire. »

A l’appui de cette conclusion, Kant cite certains principes que les philosophes ont coutume d’invoquer, bien qu’ils ne se rendent pas toujours parfaitement compte de leur origine et de leur valeur, par exemple cette règle scolastique si connue : Entia non sunt multiplicanda prœter necessitatem ; et il montre par les applications mêmes qu’on en fait le sens qu’il convient de leur donner. Ici encore il est bon de rapporter ses propres expressions (p. 237.)

« On veut dire par là que la nature même des choses offre une matière à l’unité rationnelle, et que la diversité infinie en apparence ne doit pas nous empêcher de soupçonner derrière elle l’unité des propriétés fondamentales d’où dérive la variété au moyen de diverses déterminations. Bien que cette unité ne soit qu’une idée, elle a été de tout temps recherchée avec tant d’ardeur qu’il a paru plus urgent de modérer que d’encourager le désir de l’atteindre. C’était déjà beaucoup pour les chimistes d’avoir pu ramener tous les sels à deux espèces principales, les acides et les alcalins ; ils cherchent aussi à ne voir dans cette différence qu’une variété ou les diverses manifestations d’une seule et même matière première. On a cherché à ramener peu à peu à trois, puis enfin à deux, les diverses espèces de terres (qui forment la matière des pierres et même des métaux) ; mais non content de cela, on ne peut se défaire de la pensée de soupçonner derrière ces variétés une espèce unique, et même un principe commun aux terres et aux sels. On serait peut-être tenté de croire que c’est là un procédé purement économique de la raison, pour s’épargner de la peine autant que possible, et un essai hypothétique, qui, quand il réussit, donne de la vraisemblance par cette unité même au principe d’explication supposé. Mais il est très-facile de distinguer un dessein aussi intéressé de l’idée d’après laquelle cha-