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ii
ANALYSE DE LA CRITIQUE

C’est ainsi que Kant fut amené à concevoir l’idée de substituer à cette physiologie empirique de l’entendement humain, ainsi qu’à l’ancienne métaphysique, une critique de la raison qui déterminât exactement la nature et la portée de cette faculté, en la considérant dans ses éléments purs ou à priori, et qui, en plaçant enfin la métaphysique, à l’exemple des mathématiques et de la physique, sur la route sûre de la science (v. p. 19 et p. 24), lui donnât le caractère dont elle a toujours été privée.

Il s’agit d’opérer ici un changement de méthode analogue à celui qu’ont accompli les mathématiques dans l’antiquité grecque, lorsqu’à la place des tâtonnements auxquels elles s’étaient livrées jusque-là, quelque grand esprit (Thales ou tout autre) songea à faire sortir la connaissance de l’objet de la construction à priori de son concept, ou à celui qu’a, dans les temps modernes, accompli la physique, lorsqu’au lieu de se laisser conduire par la nature comme à la lisière, elle entreprit de diriger et d’interpréter les expériences d’après les principes mêmes de la raison, et de forcer ainsi la nature de répondre comme à un juge souverain. Les auteurs de ces révolutions avaient compris que la raison n’aperçoit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans. C’est cette vue que Kant tente d’introduire dans la métaphysique, afin d’y opérer une révolution semblable à celles qui ont produit de si heureux effets dans les mathématiques et dans la physique.

Il compare encore l’idée d’après laquelle il entreprend cette révolution à celle de Copernic : celui-ci « voyant qu’il ne pouvait venir à bout d’expliquer les mouvements du ciel en admettant que toute la multitude des astres tournait autour du spectateur, chercha s’il ne serait pas mieux de supposer que c’est le spectateur qui tourne et que les astres restent immobiles (p. 24) ; » de même, au lieu de supposer, comme on l’a fait jusqu’ici, que toutes nos connaissances se règlent sur les objets, Kant suppose que ce sont au contraire les objets qui se règlent sur notre connaissance. Il pense pouvoir résoudre ainsi ce problème, qui est la première question et comme une question de vie ou de mort pour la métaphysique : comment une connaissance à priori des choses est-elle possible ? La réponse se résume dans cette pensée, que Kant regarde comme la pierre de touche de la nouvelle méthode : « C’est que nous ne connaissons à priori des choses