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ANALYSE DE LA CRITIQUE


positives appartenant au domaine de la raison pare et donnant un but à son ardeur. D’où lui viendrait autrement ce désir indomptable de poser quelque part un pied ferme au delà des limites de l’expérience ? « Elle soupçonne, dit Kant (p. 358), des objets qui ont pour elle un grand intérêt. Elle entre dans le chemin de la pure spéculation pour s’en rapprocher ; mais ils fuient devant elle. Il est à présumer qu’il y a lieu d’espérer pour elle un plus heureux succès sur la seule route qui lui reste encore, celle de l’usage pratique. » C’est cet usage que Kant va maintenant examiner. Il intitule ce nouveau chapitre de la méthodologie Canon de la raison pure, parce que l’usage pratique qu’il y considère nous fournit un organe, un instrument positif de connaissances qu’on ne pouvait demander à l’usage spéculatif.

Que l’ordre moral fournit à la raison pure un organe (un canon) que ne peut lui donner l’ordre spéculatif.

Mais qu’est-ce que cet ordre pratique auquel Kant s’adresse maintenant ? J’appelle pratique, dit-il (p. 361), tout ce qui est possible par la liberté. » L’ordre pratique est donc celui que fonde ou que détermine la liberté. C’est, en d’autres termes, l’ordre moral. Car la liberté n’est autre chose que la faculté qu’a l’homme de se soustraire à l’empire de la nature, c’est-à-dire des impulsions sensibles, pour obéir à des lois purement rationnelles et absolument impératives, en un mot aux lois morales. Ces lois, qui n’expriment plus simplement, comme les lois naturelles, ce qui est, mais ce qui doit être, ce que nous devons faire, sont les lois mêmes de la liberté ; seules elles appartiennent à l’usage pratique de la raison pure. Celles qui se fondent sur la considération de notre bonheur ou qui se rapportent uniquement à ce qu’on nomme la prudence, celles-là ne sont pas des produits de la raison pure ; elles ne sont donc pas des lois objectives de la liberté, ou des lois pratiques, dans le sens absolu de ce mot. Seules les lois morales ont ce caractère ; seules elles nous élèvent au-dessus du règne de la nature.

Voilà le point fixe et inébranlable, le quid inconcussum sur lequel Kant s’appuie pour résoudre les questions que la raison spéculative avait laissées pour lui sans réponse, et qui forment le but final où elle tend, c’est-à-dire, outre la liberté de la volonté, l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. Au point de vue de l’intérêt purement spéculatif de la raison, ces trois objets n’avaient pas une grande importance, car ils n’ont pas