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DE LA RAISON PURE

Objet de la philosophie.

La philosophie, de laquelle seule il s’agit ici, doit être envisagée sous deux points de vue : au point de vue de la perfection logique de la connaissance dont elle représente le système, et au point de vue du rapport de toute connaissance aux fins essentielles de la raison humaine. C’est ce dernier point de vue qu’indique le sens antique du mot philosophie et qui fait du philosophe une sorte de type, de modèle qui n’existe qu’en idée et que par conséquent nul ne peut se flatter de réaliser. Nous concevons, en effet, au-dessus de tous ces artistes de la raison qui s’appellent le mathématicien, le physicien, le logicien, etc., un maître en idéal, qui n’est plus seulement un artiste de la raison humaine, mais qui en est le législateur, et qui, à ce titre, se sert des premiers comme d’instruments pour aider aux fins essentielles de cette raison. Seulement ce maître n’est lui-même qu’un idéal, qu’aucun philosophe, si grand qu’il soit, ne peut se vanter d’atteindre. Ce serait peine perdue que de le chercher quelque part ; mais, s’il n’existe nulle part, l’idée de cette législation de la raison humaine dont il est comme la personnification idéale se trouve partout, et c’est cette idée qu’il s’agit de déterminer.

Division de la philosophie en deux grandes branches.

La législation de la raison humaine, ou la philosophie, qui en est la science, a deux objets : la nature et la liberté. De là deux branches dans la philosophie, dont la première, la philosophie de la nature, s’étend à tout ce qui est, et la seconde, la philosophie morale, à tout ce qui doit être. Et comme cette dernière branche est celle qui doit donner à la vie humaine sa direction, et qu’elle l’emporte par là sur toute autre acquisition de la raison, on s’explique comment, sous le nom de philosophe, les anciens entendaient en même temps et surtout le moraliste, et comment aujourd’hui même la seule apparence de la domination de soi-même par la raison suffit pour faire nommer philosophe une personne d’un savoir d’ailleurs borné.

Division de chacune de ces deux branches en philosophie empirique et philosophie pure.

Dans chacun de ces deux systèmes qu’embrasse la philosophie, celle-ci peut, ou bien s’occuper exclusivement de la connaissance qui dérive de la raison pure, abstraction faite de toute donnée empirique, ou bien étudier la connaissance telle qu’elle résulte des données de l’expérience sous la direction des principes de la raison. Dans ce cas, on a la philosophie empirique ; dans le premier, la philosophie pure.