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DE LA RAISON PURE


cette condition, il n’y aurait plus pour nous de changements, et que la représentation du temps s’évanouirait.

Cette doctrine de l’idéalité du temps et de l’espace a, suivant notre philosophe, l’avantage de trancher les difficultés insolubles que soulève celle qui leur attribue une réalité absolue, soit à titre de substances, soit à titre de qualités. Les regarde-t-on comme des substances, on admet comme existants par eux-mêmes deux non-êtres qui n’existent que pour renfermer en eux tout ce qui est réel (v. p. 96. — Cf. p. 107). Les regarde-t-on comme des qualités, ou comme exprimant des rapports (de juxtaposition ou de succession) inhérents aux choses mêmes, d’où l’esprit les dégage par le moyen de l’abstraction, on se met dans l’impossibilité de rendre compte de la certitude apodictique des mathématiques, puisque l’expérience ne peut produire cette certitude.

Conséquences résultant de l’esthétique transcendentale.

La théorie de la sensibilité, ou l’esthétique transcendentale que nous venons d’analyser, nous a déjà fourni l’une des conclusions les plus importantes de la philosophie de Kant : c’est que nous ne connaissons les choses, non-seulement les choses extérieures, mais celles qui ont lieu en nous, que comme elles nous apparaissent en vertu de la constitution subjective de notre sensibilité, ou comme phénomènes, et nullement comme elles sont réellement, indépendamment de cette manière de les percevoir, ou comme choses en soi. Ce qu’elles sont à ce point de vue, nous l’ignorons, puisque nous ne les percevons que suivant un mode qui lui-même dépend de la nature de notre sujet. Mais, tout en déclarant (p. 97) que « les choses que nous percevons ne sont pas en elles-mêmes telles que nous les percevons, et que leurs rapports ne sont pas non plus réellement ce qu’ils nous apparaissent, » — de telle sorte que, « si nous faisions abstraction de la constitution de nos sens, toutes les propriétés, tous les rapports des objets dans l’espace et dans le temps, l’espace et le temps eux-mêmes s’évanouiraient, » Kant n’accorde pas cependant que ces objets soient une pure apparence, ou une simple illusion. Une illusion est une représentation qui n’a point d’objet réel, comme les deux anneaux que l’on attribuait primitivement à Saturne. Or les objets de nos perceptions représentent bien quelque chose qui nous est réellement donné ; seulement ce quelque chose, nous ne le percevons que comme phénomène, non comme chose en soi. L’illusion ici consisterait à convertir le