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DE LA RAISON PURE


réalité permanente ou la substance, et dont les changements qui se produisent en eux ne soient que les modifications. Aussi Kant avait-il formulé ainsi ce principe dans sa première édition : Tous les phénomènes contiennent quelque chose de permanent (une substance), qui est l’objet même, et quelque chose de changeant, qui est la détermination de cet objet, c’est-à-dire le mode de son existence. Il faut admettre aussi, comme suite du même principe, que cette substance ne pouvant changer dans son existence, sa quantité dans la nature ne peut ni augmenter, ni diminuer.

Ce principe de la permanence de la substance a été admis de tout temps par les philosophes, ainsi que par le commun des hommes. Seulement les premiers, tout en l’exprimant avec plus de précision que les autres, n’ont jamais essayé d’en donner la preuve. Ils se sont contentés de l’admettre comme une vérité évidente.

« On demandait, dit Kant (p. 245) à un philosophe : combien pèse la fumée ? Il répondit : Retranchez du poids du bois brûlé celui de la cendre qui reste, et vous aurez le poids de la fumée. Il supposait donc comme une chose incontestable que même dans le feu la matière (la substance) ne périt pas, et que sa forme seule subit un changement. De même la proposition : rien ne sort de rien (ex nihilo nihil), n’est qu’une autre conséquence du principe de la permanence, ou plutôt de l’existence toujours subsistante du sujet propre des phénomènes. » Mais quelle est la raison de ce principe ? C’est ce que l’on ne peut reconnaître, suivant Kant, par de simples concepts, mais seulement au moyen d’une déduction de la possibilité de l’expérience, c’est-à-dire en le considérant comme une règle sans laquelle toute expérience deviendrait impossible. La permanence est une condition nécessaire qui seule permet de déterminer les phénomènes, comme objets, dans une expérience possible. Sans cette condition, il n’y a plus de changement, plus de naissance ou de mort qui puisse être pour nous un objet de perception. « Supposez, par exemple (p. 248), que quelque chose commence d’être absolument, il vous faut admettre un moment où il n’était pas. Or à quoi voulez-vous rattacher ce moment, si ce n’est à ce qui était déjà ? Car un temps vide antérieur n’est point un objet de perception. Mais si vous liez cette naissance aux choses qui