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DE LA RAISON PURE

De même enfin quant à la distinction que je conçois entre ma propre existence, comme être pensant, et les autres choses, y compris mon corps. Cette distinction résulte de l’analyse même de ma pensée ; mais puis-je exister à titre d’être pensant, indépendamment des choses que je distingue de moi ? C’est ce que je ne sais point du tout par là.

« Ainsi, conclut Kant (p. 12), l’analyse de la conscience de moi-même dans la pensée en général ne me fait pas faire le moindre pas dans la connaissance de moi-même comme objet. C’est à tort que l’on prend un développement logique de la pensée en général pour une détermination métaphysique de l’objet. »

Kant regarde ce point comme un des plus importants de sa critique : «  ce serait, dit-il (ibid.), une grande pierre d’achoppement contre toute notre critique et même la seule qu’elle eût à redouter, si l’on pouvait prouver à priori que tous les êtres pensants sont en soi des substances simples, qu’à ce titre par conséquent (ce qui est une suite du même argument) ils emportent inséparablement la personnalité et qu’ils ont conscience de leur existence séparée de toute matière. » Alors en effet nous aurions mis le pied dans le champ des noumènes, et toutes les barrières que la critique oppose aux spéculations transcendantes de l’esprit humain seraient renversées. Mais, suivant Kant, pour peu qu’on regarde les choses de près, on trouve que la critique ne court ici aucun réel danger.

Pour mieux mettre ce point en lumière, il ramène au syllogisme suivant le paralogisme qui domine tous les procédés de la psychologie rationnelle (p. 13) :

« Ce qui ne peut être conçu autrement que comme sujet n’existe aussi que comme sujet et par conséquent est une substance ;

Or un être pensant, considéré simplement comme tel, ne peut être conçu que comme sujet ;

Donc il n’existe aussi que comme sujet, c’est-à-dire comme substance. »

C’est là un raisonnement captieux dont le vice consiste à prendre l’idée du sujet dans les deux prémisses en des sens entièrement différents : dans la majeure, d’une manière tout à fait générale, et dans la mineure, par rapport à la pensée et à l’unité