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DE LA RAISON PURE


couronne triomphale, s’ils ont soin de se ménager l’avantage de la dernière attaque et s’ils ne sont pas obligés de soutenir un nouvel assaut de l’adversaire. »

Mais, remarque encore notre philosophe, bien que, dans cette arène, un grand nombre de victoires aient été alternativement remportées de part et d’autre, « on a toujours pris soin de réserver la dernière, celle qui devait décider l’affaire, au chevalier de la bonne cause, en interdisant à son adversaire de prendre de nouveau les armes et en laissant ainsi le premier seul maître du champ de bataille. »

Quelle doit donc être dans cette occurrence le rôle de la critique ?

Rôle de la critique en présence du conflit soulevé par les idées cosmologiques.

« Juges impartiaux du combat, répond Kant, nous n’avons pas à chercher si c’est pour la bonne ou pour la mauvaise cause que luttent les combattants, et nous devons les laisser d’abord terminer entre eux leur affaire. Peut-être qu’après avoir épuisé leurs forces les uns contre les autres, sans s’être fait aucune blessure, ils reconnaîtront la vanité de leur querelle et se sépareront bons amis. »

Méthode sceptique, distincte du scepticisme.

Cette manière de procéder, qui consiste à assister à un débat contradictoire ou même à le provoquer, non pas pour se prononcer à la fin en faveur de l’un ou de l’autre parti, mais pour rechercher si l’objet n’en serait pas par hasard une pure illusion, peut être désignée sous le nom de méthode sceptique. Kant ne repousse pas l’expression, mais il veut que l’on distingue bien cette méthode sceptique de la doctrine qu’on appelle le scepticisme. Il y a entre les deux cette différence caractéristique que, tandis que le scepticisme s’applique à ruiner les fondements de toute connaissance pour ne laisser nulle part, s’il est possible, aucune certitude, la méthode sceptique au contraire tend à la certitude, en cherchant à découvrir, dans un combat loyal et intelligent, le point de dissentiment qui sépare les parties, agissant en cela, « comme ces sages législateurs qui s’instruisent eux-mêmes, par l’embarras des juges dans les procès, de ce qu’il y a de défectueux ou de ce qui n’est pas suffisamment déterminé dans leurs lois (p. 46). » Tel est l’esprit que Kant veut que l’on apporte au spectacle du conflit qu’il va représenter.