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ANALYSE DE LA CRITIQUE


dans de simples phénomènes, elles tombent ensemble avec l’illusion qui les engendre, tandis que, dans les deux dernières, les conditions cherchées ne faisant pas nécessairement partie de la même série, les deux assertions opposées peuvent être vraies ton tes deux suivant le point de vue où l’on se place. Expliquons les solutions de celles-ci, comme nous avons fait pour les précédentes.

Solution de la troisième antinomie.

La troisième antinomie est celle que soulève la question tant controversée de savoir si tout ce qui arrive dans le monde, les actions humaines comme tout le reste, est fatal, ou s’il y a place quelque part pour la liberté. On ne peut concevoir en effet que ces deux espèces de causalité : la causalité naturelle, suivant laquelle tous les événements sont fatalement déterminés par ceux qui précèdent, et la causalité libre, dont l’idée est celle d’une spontanéité capable de commencer d’elle-même à agir, sans avoir besoin pour cela d’une cause antérieure qui détermine son action suivant la loi de la liaison causale ; et ces deux manières de concevoir la production des événements du monde donnent lieu à deux assertions opposées qui se soutiennent également, mais s’excluent ou paraissent du moins s’exclure absolument. Si tout ce qui arrive dans le monde est nécessairement déterminé par ce qui précède suivant la loi naturelle de la liaison des causes et des effets, où est la place de la liberté et que devient dès lors l’ordre moral ? Ou s’il y a quelque part une cause libre, l’enchaînement des causes et des effets est rompu, et dès lors que devient l’ordre naturel ? Il ne semble pas qu’on puisse sortir de là. Il n’y a, suivant Kant, qu’un moyen d’en sortir, c’est de chercher si, malgré le principe qui veut que tous les événements du monde sensible soient enchaînés sans solution de continuité suivant des lois naturelles immuables, et sans abandonner ce principe, qui ne souffre aucune exception, la liberté ne serait pas possible, en même temps, par rapport aux mêmes effets, mais considérés d’un autre point de vue. Or tel est précisément le résultat où l’on arrive en distinguant, comme il convient, l’ordre intelligible de l’ordre sensible. Supprimez cette distinction, ou, en d’autres termes, supposez que les choses sensibles, les phénomènes sont réellement des choses en soi, il vous faudra renoncer absolument à la liberté ; mais, si la distinction est fondée, il est possible de concilier la thèse de la liberté avec celle de la nécessité naturelle : toutes deux alors peuvent être vraies,