Page:Kant - Critique de la raison pure, I.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION


sûr chemin de la science. Et pourtant elle est plus vieille que toutes les autres, et elle subsisterait toujours, alors même que celles-ci disparaîtraient toutes ensemble dans le gouffre de la barbarie. La raison s’y trouve continuellement dans l’embarras, ne fût-ce que pour apercevoir à priori (comme elle a en la prétention) ces lois que confirme la plus vulgaire expérience. Il y faut revenir indéfiniment sur ses pas, parce qu’on trouve que la route qu’on a suivie ne conduit pas où l’on veut aller. Quant à mettre ses adeptes d’accord dans leurs assertions, elle en est tellement éloignée qu’elle semble n’être qu’une arène exclusivement destinée à exercer les forces des joûteurs, et où aucun champion n’a jamais pu se rendre maître de la plus petite place et fonder sur sa victoire une possession durable. Il n’y a donc pas de doute que la marche qu’on y a suivie jusqu’ici n’a été qu’un pur tâtonnement, et, ce qu’il y a de pire, un tâtonnement au milieu de simples concepts.

Or d’où vient qu’ici la science n’a pu s’ouvrir encore un chemin sûr ? Cela serait-il par hasard impossible ? Pourquoi donc la nature aurait-elle inspiré à notre raison cette infatigable ardeur à en chercher la trace, comme s’il s’agissait d’un de ses intérêts les plus chers ? Bien plus, quelle confiance pourrions-nous avoir encore en notre raison, si, quand il s’agit de l’un des objets les plus importants de notre curiosité, elle ne nous abandonne pas seulement, mais nous trompe à la fin, après nous avoir amusés par de fausses promesses ! Peut-être jusqu’ici a-t-on fait fausse route, mais alors quels motifs avons-nous d’espérer qu’en nous livrant à de nouvelles recherches nous serons plus heureux que les autres ?

En voyant comment les mathématiques et la physique