Page:Kant - Critique de la raison pure, I.djvu/234

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exige ici quelque hypothèse. En effet, nous voyons que si des espaces égaux peuvent être parfaitement remplis par des matières différentes, de telle sorte qu’en aucune d’elles il n’y ait nul point où la matière ne soit présente, tout réel de même qualité a néanmoins son degré (de résistance ou de pesanteur), qui peut être de plus en plus petit, sans que la quantité extensive ou le nombre diminue ou disparaisse dans le vide et s’évanouisse. Ainsi une dilatation, qui remplit un espace, par exemple la chaleur ou toute autre réalité (phénoménale) peut, sans jamais laisser vide la plus petite partie de cet espace, décroître par degrés à l’infini ; elle ne remplira pas moins l’espace avec ces degrés plus bas que ne le ferait un autre phénomène avec de plus élevés. Je ne prétends pas affirmer ici que telle est en effet la raison de la différence des matières quant à leur pesanteur spécifique ; je veux seulement démontrer par un principe de l’entendement pur que la nature de nos perceptions rend possible un tel mode d’explication, et que l’on a tort de regarder le réel du phénomène comme étant identique quant au degré et comme ne différant que par son agrégation et sa quantité extensive, et de croire que l’on affirme cela à priori au moyen d’un principe de l’entendement.

Toutefois, pour un investigateur accoutumé aux considérations transcendentales et devenu par là circonspect, cette anticipation de la perception a toujours quelque chose de choquant, et il lui est impossible de ne pas concevoir quelque doute sur la faculté qu’aurait l’entendement d’anticiper[ndt 1] une proposition synthétique telle

  1. Ce mot, nécessaire à la construction et au sens de la phrase, avait été omis par Kant dans le texte de ses deux éditions ; il a été justement