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CRITIQUE DE LA RAISON PURE


vent causer tôt ou tard, même dans le peuple, les disputes où s’engagent inévitablement les métaphysiciens (et, comme tels aussi, les théologiens) sans critique, et qui finissent elles-mêmes par fausser leurs doctrines. La critique peut seule couper les racines du matérialisme, du fatalisme, de l’athéisme, de l’incrédulité des esprits forts[ndt 1], du fanatisme et de la superstition, ces fléaux dont l’effet est général, enfin de l’idéalisme et du scepticisme, qui ne sont guère dangereux qu’aux écoles et qui pénètrent difficilement dans le public. Si les gouvernements jugeaient à propos de se mêler des affaires des savants, ils feraient beaucoup plus sagement, dans leur sollicitude pour les sciences aussi bien que pour les hommes, de favoriser la liberté d’une critique qui seule est capable d’établir sur un pied solide les travaux de la raison, que de soutenir le ridicule despotisme des écoles, toujours prêtes à pousser les hauts cris sur le danger public quand on déchire leurs toiles d’araignée, dont le public n’a jamais entendu parler et dont il ne peut pas même sentir la perte.

La critique ne s’oppose point à ce que la raison suive une marche dogmatique[ndt 2] dans sa connaissance pure, scientifiquement considérée (car il faut toujours que la science soit dogmatique, c’est-à-dire qu’elle soit strictement démonstrative en s’appuyant sur des principes à priori tout à fait certains) ; mais elle repousse le dogmatisme, c’est-à-dire la prétention de tirer de certains concepts une connaissance pure (la connaissance philosophique), à l’aide de principes tels que ceux que la raison emploie depuis longtemps, sans avoir recherché comment et de quel droit elle y est arrivée. Le dogmatisme est donc la rai-

  1. Dem freigeisterischen Unglauben.
  2. Dogmatischen Verfahren.