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PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION


mune, et que cette extraction dût rendre ses prétentions justement suspectes, il arriva que, comme on lui avait en effet fabriqué une fausse généalogie, elle continua de les soutenir, et qu’ainsi tout retomba dans le vieux dogmatisme vermoulu, et, par suite, dans le mépris auquel on avait voulu soustraire la science. Aujourd’hui, après que toutes les voies (à ce que l’on croit) ont été vainement tentées, le dégoût ou une parfaite indifférence, cette mère du chaos et de la nuit, règne dans les sciences ; mais là aussi est, sinon l’origine, du moins le prélude de leur transformation ou d’une rénovation qui fera cesser l’obscurité, la confusion et la stérilité où les avaient réduites un zèle mal entendu.

Il serait bien vain, en effet, de vouloir affecter de l’indifférence pour des recherches dont l’objet ne saurait être indifférent à la nature humaine. Aussi tous ces prétendus indifférents, qui prennent si bien soin de se déguiser en substituant un langage populaire à celui de l’école, ne manquent-ils pas, pour peu qu’ils pensent à quelque chose, de retomber dans ces mêmes assertions métaphysiques pour lesquelles ils avaient affiché tant de mépris. Cependant, cette indifférence, qui s’élève au sein de toutes les sciences et qui atteint justement celles dont la connaissance aurait le plus de prix à nos yeux, si nous pouvions la posséder, cette indifférence est un phénomène digne d’attention. Elle n’est pas évidemment l’effet de la légèreté, mais bien de la maturité du jugement[1] d’un

  1. On se plaint souvent de la pauvreté de la pensée dans notre siècle et de la décadence de la véritable science. Mais je ne vois pas que celles dont les fondements sont bien établis, comme les mathématiques, la physique, etc., méritent le moins du monde ce reproche ; il me semble, au contraire, qu’elles soutiennent fort bien leur vieille réputation de