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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


question : c’est un devoir pour nous de faire intervenir l’idée de Dieu dans celle de nos devoirs, soit envers nous-mêmes, soit envers nos semblables, c’est-à-dire de les considérer eux-mêmes comme des commandements divins ; mais ce devoir n’est point un devoir envers Dieu, dont la nature et les rapports avec le monde et avec l’humanité nous sont trop inaccessibles pour que nous puissions avoir des obligations envers lui ; c’est simplement un devoir envers nous-mêmes, qui trouvons dans l’idée de Dieu un appui pour notre moralité 1[1]. Mais, demanderai-je à Kant, comment peut-on me faire un devoir d’admettre cette idée en vue de l’utilité morale que j’en puis retirer ? Ou elle n’a d’ailleurs aux yeux de mon esprit aucune valeur objective, et alors comment peut-elle avoir l’utilité qu’on lui attribue ? Ou elle a en effet un fondement réel, et alors ce n’est pas l’affaire de ma volonté, mais de ma raison de l’admettre en ma créance. Si je l’adopte, ce n’est pas à titre d’obligation, mais comme une vérité suffisamment établie ; et si j’en tire quelque bien moral, c’est que je la tiens pour vraie absolument. Cela posé, dès que nous concevons Dieu comme le principe de tout bien et la source de toute perfection, ou, suivant les paroles mêmes de Kant, comme le législateur et le juge suprême du monde moral, quelque incompréhensibles que nous soient d’ailleurs sa nature et les rapports qui nous unissent à lui 2[2], je ne vois pas pourquoi nous ne saurions admettre comme un devoir direct envers lui, sinon telle ou telle pratique extérieure, du moins une certaine piété intérieure. A part ces objections, j’accorde volontiers à Kant que la morale religieuse, au point de vue de la pure philosophie, n’a point d’autre culte à nous prescrire que celui des bonnes œuvres. Tout autre est toujours plus ou moins entaché d’anthropomorphisme et de superstition. La vraie

  1. 1 Cf. p. xxxi et p. xxxiii.
  2. 2 Pourquoi d’ailleurs ajouter aux difficultés déjà trop nombreuses et trop réelles que nous offre la conception des rapports de Dieu avec le monde des difficultés oiseuses, en mettant, par exemple, sur le compte de la justice absolue des sentences que la seule force des préjugés a pu élever au rang de vérités universelles, mais que repousse la droite raison {voyez plus haut, p. lviii) ?