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DOCTRINE DE LA VERTU

Mais il semble tout à fait contraire à l’idée de cette partie de la philosophie qui s’appelle la doctrine de la vertu de remonter jusqu’aux éléments métaphysiques, afin de faire du concept du devoir, dégagé de tout élément empirique (de tout sentiment), un mobile pour la volonté. Car comment se faire une idée de la force extraordinaire et de la puissance herculéenne dont nous aurions besoin pour triompher de nos passions les plus vives, s’il fallait que la vertu tirât ses armes de l’arsenal de la métaphysique, cette chose de spéculation, accessible à si peu d’hommes ! Aussi quiconque veut enseigner la vertu dans une assemblée, dans une chaire ou dans un ouvrage populaire, se rend-il ridicule en se parant de lambeaux de métaphysique. — Mais il n’est pas pour cela inutile, et encore moins ridicule, de chercher dans la métaphysique les premiers principes de la doctrine de la vertu, car tout vrai philosophe doit remonter aux premiers principes du concept du devoir : sans quoi il n’y aurait en général ni ----


    losophe pratique. Le philosophe pratique est celui qui prend pour principe de ses actions le but final de la raison, et qui d’ailleurs possède le savoir nécessaire pour cela. Mais comme ce savoir a l’action pour objet, il n’a pas besoin d’être poussé jusqu’aux fils les plus déliés de la métaphysique quand il ne s’agit que des devoirs de vertu, et non pas des devoirs de droit, où le mien et le tien doivent être exactement pesés dans la balance de la justice, suivant le principe de l’égalité de l’action et de la réaction, et avoir par conséquent quelque chose d’analogue à la précision mathématique. Alors il est moins question de la connaissance de ce qu’il est de notre devoir de faire (chose qu’il est facile de savoir en remarquant les fins que tous les hommes poursuivent naturellement) que du principe intérieur de la volonté. Il faut, en effet, que la conscience de ce devoir soit en même temps le mobile des actions, et celui-là seul mérite le nom de philosophe pratique qui joint à son savoir ce principe de sagesse.