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INTRODUCTION.


mœurs. Si l’éthique contient des devoirs à l’observation desquels on ne puisse être contraint (physiquement) par d’autres, c’est justement parce qu’elle est une science de fins ; car de subir ou d’exercer ici une contrainte de ce genre, c’est chose contradictoire.

Mais il résulte aussi de la précédente définition de la vertu, rapprochée de l’obligation, dont le caractère propre a été également indiqué, que l’éthique est une doctrine de la vertu (doctrina officiorum virtutis). — En effet, la détermination du libre arbitre qui consiste à se proposer une fin est la seule qui échappe, par sa nature même, à toute contrainte extérieure et physique. On peut bien me forcer à faire quelque chose qui ne soit pas un but pour moi (mais seulement un moyen pour un but poursuivi par autrui) ; mais on ne saurait me contraindre à m’en faire un but. Je ne puis donc avoir un but sans me le faire moi-même ; le contraire serait contradictoire : ce serait un acte de la liberté qui ne serait plus libre. — Mais il n’y a point de contradiction à se proposer à soi-même une fin qui est en même temps un devoir ; car alors je me contrains moi-même, ce qui est très-conciliable avec la liberté[Note de l’auteur 1]. — Comment une telle fin est-elle



  1. L’homme est d’autant plus libre qu’il est moins soumis à la contrainte physique et qu’il l’est plus à la contrainte morale (à celle qu’exerce la seule idée du devoir). Celui, par exemple, qui est doué d’une résolution assez ferme ou d’une âme assez forte pour ne pas renoncer, quelque danger qu’on veuille lui faire craindre, à une partie de plaisir qu’il a projetée, mais qui abandonne son projet sans hésitation, je ne dis pas sans regret, dès qu’on lui représente qu’il le ferait manquer à ses devoirs ou négliger un père malade, celui-là, par cela même qu’il ne peut résister à la voix du devoir, fait au plus haut degré preuve de liberté.