Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
DOCTRINE DE LA VERTU


qu’on n’en a pas encore de preuve suffisante, ou bien que l’on prend pour un seul et même devoir plusieurs devoirs différents.

En effet, toutes les preuves morales, en tant que preuves philosophiques, ne peuvent se faire qu’au moyen d’une connaissance rationnelle fondée sur des concepts[1], et non, comme celles que fournissent les mathématiques, par la construction de concepts. Ces dernières admettent plusieurs preuves pour une seule et même proposition, parce que dans l’intuition à priori il peut y avoir plusieurs manières de déterminer les propriétés d’un objet, qui toutes reviennent au même principe. – Si par exemple, pour établir le devoir de la véracité, on allègue comme preuve d’abord le préjudice que le mensonge occasionne aux autres hommes, et ensuite aussi l’indignité[2] dont se frappe le menteur et l’atteinte qu’il porte au respect de lui-même, la première preuve porte sur un devoir de bienveillance, non sur un devoir de véracité, et par conséquent ce que l’on établit par là, ce n’est pas le devoir qu’il s’agit de prouver, mais un autre. – Que si, en alléguant plusieurs preuves en faveur d’une seule et même proposition, on se flatte de compenser par le nombre des raisons le manque de poids de chacune d’elles en particulier, c’est là un expédient tout à fait indigne d’un philosophe, et qui dénote une absence complète de loyauté et de bonne foi ; – en effet on a beau juxta-poser diverses raisons suffisantes, les unes ne donneront pas aux autres ce qui leur manque en

  1. Aus Begriffen.
  2. Nichtswürdigkeit.