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ANALYSE CRITIQUE


fluence des penchants dont la nature humaine est affectée ne lui permet pas de goûter un instant de repos et de tranquillité. Il faut qu’elle se tienne toujours éveillée, toujours sur la brèche, toujours prête à combattre. Cela n’empêche pas qu’elle ne soit progressive : que signifierait autrement l’idéal que nous concevons comme le terme dont elle doit tendre à se rapprocher toujours davantage, sans pouvoir espérer de l’atteindre jamais ?

De l’empire de soi-même.

La vertu exige deux conditions. La première est l’empire de soi-même 1[1], c’est-à-dire qu’il faut savoir commander à ses passions. Il importe de bien distinguer les passions des affections. Celles-ci sont des mouvements sensibles qui précèdent et offusquent ou étouffent la réflexion, mais qui ont au moins l’avantage d’être passagers. Telle est, par exemple, la colère. C’est une tempête qui éclate tout à coup, mais ne dure pas. Les passions, au contraire, sont des inclinations devenues constantes et en quelque sorte raisonnées. Telle est la haine, par opposition à la colère. Les premières peuvent très-bien se rencontrer avec une bonne volonté : celui sur qui elles agissent manque de vertu plutôt qu’il n’est réellement vicieux. Les secondes, quand elles portent sur quelque chose de contraire au devoir, sont des vices qualifiés ; car ici l’on s’est fait du mal une maxime, on l’a implanté en soi-même et on lui a laissé pousser de profondes racines. Il est donc nécessaire, si l’on veut échapper au vice et pratiquer la vertu, de savoir retenir sous sa puissance et soumettre à l’autorité de la raison toutes ses facultés et toutes ses inclinations, en un mot d’avoir l’empire de soi-même. Cette condition est un ordre positif. Mais elle-même en suppose une autre, qui est une défense, la défense de se laisser dominer par ses sentiments et ses inclinations.

De l’apathie.

« En effet, dit Kant 2[2], si la raison ne prend en mains les rênes du gouvernement, ces inclinations et ces sentiments deviendront bientôt les maîtres de l’homme. » La force qui consiste à les réprimer est ce qu’il appelle l’apathie morale. On prend souvent en mauvaise part le mot d’apathie, en entendant par là l’insensibilité ou l’indifférence ; ce n’est pas ce genre d’apathie qu’exige la vertu, mais cette tranquillité d’âme qui permet

  1. 1 XVI, p. 57.
  2. 2 XVII, p. 58.