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PAR HUMANITÉ.


une prétention contraire à toute légalité. Ce n’est pas seulement le droit de tout homme, c’est aussi son devoir le plus strict de dire la vérité dans les déclarations qu’il ne peut éviter, quand même elles devraient nuire à lui ou à d’autres. À proprement parler, il n’est donc pas lui-même l’auteur du dommage éprouvé par celui qui souffre par suite de sa conduite, mais c’est le hasard qui en est la cause. Il n’est pas du tout libre en cela de choisir, puisque la véracité (lorsqu’il est une fois forcé de parler) est un devoir absolu. — Le « philosophe allemand » ne prendra donc pas pour principe cette proposition (p. 124) : « Dire la vérité n’est un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité, » d’abord parce que c’est là une mauvaise formule, la vérité n’étant pas une propriété sur laquelle on puisse accorder des droits à l’un et en refuser à l’autre, et ensuite surtout parce que le devoir de la véracité (le seul dont il soit ici question) n’admet pas cette distinction entre certaines personnes envers qui l’on aurait à le remplir, et d’autres à l’égard desquelles on pourrait s’en affranchir, mais que c’est un devoir absolu qui s’applique dans tous les cas.

Pour aller d’une métaphysique du droit (qui fait abstraction de toute condition expérimentale) à un principe de la politique, qui en applique les idées aux cas de l’expérience, et pour résoudre, au moyen de ce principe, un problème politique, tout en restant fidèle au principe général du droit, il faut que le philosophe offre ces trois choses : 1o un axiome, c’est-à-dire une proposition apodictiquement certaine, qui résulte immédiatement de la définition du droit extérieur (l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous suivant une loi générale) ; 2o un postulat de la loi publique extérieure, comme volonté collective de tous suivant le principe de l’égalité, sans laquelle il n’y aurait aucune liberté pour chacun ; 3o un problème consistant à déterminer le moyen de conserver l’harmonie dans une société assez grande, en restant fidèle aux principes de la liberté et de l’égalité (c’est-à-dire le moyen d’un système représentatif). Ce moyen est un principe de la politique, dont le dispositif et le règlement supposent des décrets, qui, tirés de la connaissance expérimentale des hommes, n’ont pour but que le mécanisme de l’administration du droit et les moyens de l’organiser convenablement. — — Il ne faut pas que le droit se règle sur la politique, mais bien la politique sur le droit.