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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


à l’humanité qui réside en sa personne. Nous n’avons point à considérer ici le tort qu’il peut causer aux autres hommes : à ce point de vue il serait une violation de notre devoir envers autrui ; il s’agit à présent de montrer qu’il est une violation de notre devoir envers nous-mêmes. Or il suffit pour cela de faire remarquer qu’il est, suivant les expressions mêmes de Kant, l’avilissement et comme l’anéantissement de la dignité humaine. « Un homme, dit-il 1[1], qui ne croit pas lui-même à ce qu’il dit à un autre a encore moins de valeur qu’une simple chose ; car un autre peut tirer parti de l’utilité de cette chose, puisque c’est un objet réel qui lui est donné, tandis que si, tout en prétendant communiquer à un autre ses pensées, on se sert à dessein de mots signifiant le contraire de ce que l’on pense, on se propose une fin qui va directement contre la destination naturelle de la faculté de communiquer ses pensées, et par conséquent on abdique sa personnalité ; aussi le menteur est-il moins un homme véritable que l’apparence trompeuse d’un homme. » De là la honte qui s’attache au mensonge. « Le déshonneur, c’est encore Kant qui parle 2[2], accompagne le menteur comme son ombre. » Et il n’y a pas, selon lui, d’exception à la règle qui défend le mensonge : fût-il non-seulement inoffensif, mais même utile à autrui ; procédât-il d’un bon naturel, et se proposât-il une fin réellement bonne, il n’en serait pas moins une offense que l’homme ferait à sa personne et une indignité qui le rendrait méprisable à ses propres yeux.

Le mensonge ne consiste pas seulement à tromper autrui, mais à vouloir se tromper soi-même. La véracité n’est pas uniquement un devoir pour nous dans nos communications avec les autres hommes, mais vis-à-vis de nous-mêmes. On ne ment pas seulement aux autres, on se ment aussi à soi-même ; il y a des mensonges intérieurs, aussi bien que des mensonges extérieurs : tels sont ceux par lesquels nous cherchons à nous tromper sur la nature de nos croyances ou sur la pureté de nos résolutions. Il faut que l’homme ait le courage de s’avouer à lui-même et ce qu’il croit et ce qu’il ne croit pas ; il faut aussi qu’il ait celui de reconnaître les vrais

  1. 1 P. 88.
  2. 2 P.87.