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ANALYSE CRITIQUE

Le maître. Comment nomme-t-on cette nécessité immédiatement imposée à l’homme par la raison, d’agir conformément à la loi de la raison même ? L’élève. On la nomme devoir.

Le maître. Ainsi l’observation de notre devoir est la condition générale qui seule nous permet d’être dignes du bonheur ; être digne du bonheur et faire son devoir, c’est tout un. — Mais, si nous avons conscience d’une volonté bonne et active, qui nous rende à nos propres yeux dignes d’être heureux (ou du moins ne nous en rende pas indignes), pouvons-nous y fonder l’espoir certain de participer à ce bonheur ?

L’élève. Non ! cela ne suffit pas ; car il n’est pas toujours en notre pouvoir de nous procurer le bonheur, et le cours de la nature ne se règle pas de lui-même sur le mérite, mais le bonheur de la vie (notre bien-être en général) dépend de circonstances qui sont loin d’être toutes au pouvoir de l’homme. Notre bonheur n’est donc toujours qu’un désir, qui ne peut devenir une espérance, si une autre puissance n’intervient pas.

Le maître. La raison n’a-t-elle pas pour elle bien des motifs d’admettre comme réelle une puissance qui distribue le bonheur suivant le mérite et le démérite des hommes, qui commande à toute la nature et gouverne le monde avec une sagesse suprême, en un mot de croire à Dieu ?

L’èlève. Oui ; car nous voyons dans les œuvres de la nature, que nous pouvons juger, une sagesse si vaste et si profonde, que nous ne pouvons nous l’expliquer autrement que par l’art merveilleusement grand d’un créateur, de qui nous avons aussi droit d’attendre, dans l’ordre moral, qui fait le plus bel ornement du monde, un gouvernement non moins sage ; ce qui fait que, si nous ne nous rendons pas nous-mêmes indignes du bonheur en manquant à notre devoir, nous pouvons espérer aussi d’y participer. »

Le fragment de catéchisme qu’on vient de lire se borne à quelques idées générales, mais le catéchisme entier, tel que Kant le conçoit et le demande, devrait embrasser tous les articles de la vertu et du vice, en les rattachant directement au principe du devoir et non à celui de l’intérêt. Que si l’on veut, pour ménager des âmes encore trop faibles, faire valoir les avantages que promet la pratique de la vertu ou les inconvénients qu’entraîne celle du vice, que ce soit d’une façon pure-