Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/256

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auquel le sort nous a liés pour toujours, alors même qu’il ne serait pas ardemment aimé, et qu’il aurait des opinions et des intérêts opposés aux nôtres. Ces trois conditions, qui sont au fond indispensables dans toute union, se trouvent, en réalité, très rarement réunies, mais il suffit de l’une d’elles pour assurer la stabilité du bonheur ; et voilà pourquoi on trouve relativement un grand nombre de familles heureuses, quoiqu’il soit peut-être impossible de trouver dans le monde un couple parfaitement assorti. Le mariage d’Aurore et de Casimir ne réunissait aucune de ces conditions ; logiquement, il devait finir par une rupture, et les quatorze années qu’il dura furent, pour les deux époux, un martyre presque égal.

Dans leur union, il y avait trois conditions négatives : 1° d’un côté, un homme nul en face d’une nature hors ligne comme celle d’Aurore, et cet homme se croyait, de par la loi et par sa propre opinion, en droit d’être le chef de la maison et de la famille ; 2° l’absence, chez les deux époux, du véritable amour ; 3° la brutalité, le laisser-aller, la grossièreté de Casimir qui l’amenèrent aux actes les plus révoltants et aux violences qui forcèrent Aurore à quitter d’abord le toit conjugal, et à recourir ensuite à la protection de la loi. — George Sand, dans l’Histoire de ma Vie, a toutefois trouvé nécessaire de parler de Dudevant aussi discrètement que possible. « Depuis que la séparation a été prononcée et maintenue, — dit-elle, — je me suis hâtée d’oublier mes griefs, en ce sens que toute récrimination publique contre lui me semble de mauvais goût, et ferait croire à une persistance de ressentiments dont je ne suis pas complice[1]. » Selon nous, sa réserve est poussée

  1. Histoire de ma Vie, t. I, p. 13.