Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partir de ce moment, Aurore ne cessa, pendant toute sa vie, de quitter, chaque année, l’endroit qu’elle habitait pour aller passer quelques semaines ou quelques mois dans les montagnes, au bord de la mer, ou simplement dans quelque coin caché et inconnu au centre même de la France.

Pleine liberté au milieu de la nature, promenades à cheval, ascensions périlleuses des monts ou des glaciers, le grand air pur des montagnes, tout cela guérissait à la fois Aurore de son spleen et même de tous ses maux physiques. Et si l’indifférence de son mari l’attristait encore, elle l’envisageait avec calme, et commençait à comprendre que ce n’était pas sa faute, à elle, s’il ne savait pas l’apprécier, et, qu’au fond, elle ne devait pas s’en affecter. Elle écrit encore, il est vrai, dans son journal :

« Monsieur *** chasse avec passion[1]. Il tue des chamois et des aigles. Il se lève à deux heures du matin et ne rentre qu’à la nuit. Sa femme s’en plaint. » Mais elle ajoute aussitôt : « Il n’a pas l’air de prévoir qu’un temps peut venir où elle s’en réjouira ».

Voici encore un fragment de son journal :

« Madame *** a dit à Aimée que j’avais tort de faire des courses sans mon mari. Je ne vois pas que cela soit, puisqu’il prend les devants et que je vais où il veut aller… » Plus loin, Aurore prend déjà plaisir à se moquer des minuties de son mari et de ses chicanes. Racontant diverses excursions faites par les Dudevant, de Luz à Saint-Sauveur, à Gavarnie, au Marborée, etc., elle dit entre autres choses :

  1. On voit aisément en comparant ce passage avec la lettre d’Aurore à sa mère citée plus haut que ce Monsieur *** n’était autre que Dudevant lui-même : « Casimir se repose dans ces courses dont je vous parle, de celles qu’il a faites sans moi à Cauterets ; il a été à la chasse sur les plus hautes montagnes, il a tué des aigles, des perdrix blanches et des isards, ou chamois, dont il vous fera voir la dépouille… »