Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/324

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teur obéissant, comptant trouver en lui éclaircissement et soutien, elle devient d’abord interlocutrice réclamant égalité de droit, critiquant chacune des paroles et des opinions de son correspondant, ensuite penseuse indépendante qui ne veut se mettre d’accord en rien et ne fait aucune concession. Et ce n’est pas étonnant : dans le jeune magistrat de 1827, couvait déjà le représentant de l’extrême droite, et dans Aurore, le futur auteur des bulletins du gouvernement provisoire. Lui, imbu des traditions religieuses et morales de la magistrature de province, patriarcale et exclusive ; elle, élevée en dehors de toute tradition précise, au milieu d’impressions contradictoires. Lui, suivant avec calme et conviction les vérités et les principes établis depuis des siècles ; elle, toujours avide de vérités nouvelles. Lui, vivant d’un travail régulier ; elle, vivant, travaillant, s’amusant par élans subits. Lui toute raison ; elle, toute passion. En un mot, Aurore, en ces cinq ans, devint supérieure à son correspondant, le dépassa et le devança.

Ce divorce spirituel entre les deux amis rendait la rupture inévitable. Cette rupture eût, du reste, été amenée par les exigences naturelles de la vie, incompatible avec une amitié romantico-exaltée et mystique. Insensiblement des nuages s’accumulèrent à l’horizon, preuve que tout n’y était pas all right. Au commencement de 1828, les lettres d’Aurore à Zoé ne sont plus ni gaies, ni alertes, mais respirent une souffrance secrète et de sombres pensées… « Je ne mérite plus l’amitié de personne ; comme l’animal blessé qui meurt dans un coin, je ne saurais chercher d’adoucissement, » écrit-elle le 2 février en ajoutant que « ce n’est plus qu’à elle, Zoé, qu’elle peut écrire ». — Ce désespoir ne nous parait pas devoir être commenté ; il est tout