Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Mme Dupin, qu’elle s’habillait en homme : « On vous a dit que je portais culotte, on vous a bien trompée ; si vous passiez vingt-quatre heures ici, vous verriez bien que non. En revanche je ne veux point qu’un mari porte mes jupes. Chacun son vêtement, chacun sa liberté. J’ai des défauts, mon mari en a aussi, et, si je vous disais que notre ménage est le modèle des ménages, qu’il n’y a jamais eu un nuage entre nous, nous ne le croiriez pas. Il y a dans ma position, comme dans celle de tout le monde, du bon et du mauvais[1]. Le fait est que mon mari fait tout ce qu’il veut ; qu’il a des maîtresses ou n’en a pas, suivant son appétit ; qu’il boit du vin muscat ou de l’eau claire, selon sa soif ; qu’il entasse ou dépense, selon son goût ; qu’il bâtit, plante, change, achète, gouverne son bien et sa maison, comme il l’entend. Je n’y suis pour rien »… Et aussitôt ajoute-t-elle fermement : « Il est bien juste que cette grande liberté dont jouit mon mari soit réciproque ; sans cela il me deviendrait odieux et méprisable ; c’est ce qu’il ne veut point être. Je suis donc entièrement indépendante ; je me couche quand il se lève, je vais à La Châtre ou à Rome, je rentre à minuit ou à six heures ; tout cela c’est mon affaire. Ceux qui ne le trouveraient pas bon et vous tiendraient des propos sur mon compte, jugez-les avec votre raison et avec votre cœur de mère ; l’un et l’autre doivent être pour moi[2]… »

Et au mois de juillet, de retour à Paris, voilà ce qu’Aurore écrit à Duvernet[3] : « (Je voudrais vous donner) cette

  1. Il a déjà été dit dans le chapitre précédent qu’Aurore Dudevant cachait à sa mère ses chagrins de famille et comment elle tâchait de sauver les apparences envers elle. Il est certain qu’à cette époque elle se sentait déjà loin de sa mère et trop supérieure à elle pour lui dévoiler les plaies de son âme.
  2. Correspondance, vol. I, p. 182-183.
  3. Cette page est omise dans la lettre du 19 juillet 1831 imprimée dans