Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/445

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non seulement « tourmentée des choses divines », comme elle le dit, mais aussi profondément préoccupée des « choses humaines ». Ni Michel de Bourges, ni Lamennais, ni Pierre Leroux ne l’avaient encore endoctrinée, mais son intérêt pour ces utopies était bien éveillé déjà, le sol où elles pouvaient prendre racine était tout prêt.

Quoique George Sand ait aimé dans la suite à représenter sa conversion aux questions sociales comme une espèce de révélation soudaine, descendue une nuit en elle, pendant une discussion avec Michel de Bourges sur le pont des Saints-Pères, ce n’est là qu’une licence poétique. On voit par les œuvres et les lettres d’Aurore, qu’elle n’avait pas à être convertie : toutes ces questions l’intéressaient depuis longtemps, bien que peut-être moins exclusivement. Depuis longtemps elle avait, dans sa mansarde du quai Malaquais, dans les allées de Nohant et à la cascade d’Urmont, passé des heures entières à causer avec son ami, Rollinat, sur les misères du genre humain, sur les injustices de toutes sortes et sur les moyens à prendre pour y remédier. Ce n’est pas sans raison que dans une lettre à Rollinat, elle appelle Lélia « une éternelle causerie entre nous deux. Nous en sommes les plus graves personnages ». Et voilà maintenant comment elle caractérise son état d’âme à l’époque où elle écrivait Lélia, sous l’empire de ce désenchantement amer qui s’empara de tous ceux qui traversèrent la crise de 1830-1832.

« Il est une douleur plus difficile à supporter que toutes celles qui nous frappent à l’état d’individu. Elle a pris tant de place dans mes réflexions, elle a ou tant d’empire sur ma vie jusqu’à venir empoisonner mes phrases de pur bonheur personnel, que je dois bien la dire aussi ! Cette douleur, c’est le mal général : c’est la souffrance de la race