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vie depuis ces quinze jours. Il faut que je parle avec vous. Viendrez-vous ? » À Duvernet elle écrit de Paris, le 15 avril… « il est des temps de tristesse et d’amertume où l’on ne veut croire qu’à ce qui blesse et froisse…[1] ».

Nous avons déjà vu la lettre à Rollinat du mois d’août, dans laquelle elle écrit : « Je n’irai point à Valencay, je n’irai point à Châteauroux, j’irai peut-être au cimetière ».

Le 26 mai 1833, elle écrit de nouveau à Rollinat une lettre plus remarquable encore, que nous reproduirons presque en entier : « Tu ne penses pas que j’aie changé d’avis. Tu es toujours à mes yeux le meilleur et le plus honnête des hommes. Je ne t’ai pas donné signe de souvenir et de vie depuis bien des mois. C’est que j’ai vécu des siècles ; c’est que j’ai subi un enfer depuis ce temps-là. Socialement, je suis libre et plus heureuse. Ma position est extrêmement calme, indépendante, avantageuse. Mais pour arriver là, tu ne sais pas quels affreux orages j’ai traversés. Il faudrait, pour te les raconter, passer bien des soirs dans les allées de Nohant, à la clarté des étoiles, dans ce grand et beau silence que nous aimons tant. Dieu veuille que ces temps nous soient rendus et que nous admirions encore, ensemble, le clair de lune sur la cascade d’Urmont ! Mais cette indépendance si chèrement achetée, il faudrait savoir en jouir et je n’en suis plus capable. Mon cœur a vieilli de vingt ans et rien dans la vie ne me sourit plus. Il n’est plus pour moi de passions profondes, plus de joies vives. Tout est dit : j’ai doublé le cap. Je suis au port, non pas comme ces bons nababs qui se reposent dans les hamacs de soie, sous les plafonds de bois de cèdre de leurs palais, mais comme ces pauvres pilotes qui, écrasés de fatigue et

  1. Fragments de lettres inédites.