Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/458

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songes comme une étoile fixe parmi les vains météores de la nuit. C’est vous, homme purifié, homme retrempé, homme nouveau, dont je rêvais, lorsque j’écrivis Trenmor.

Par quelle liaison d’idées, j’ai été de lui à vous, pourquoi j’ai comblé la distance qui vous séparait, homme réel, de ce personnage imaginaire par des lignes fantasques et des ornements capricieux ; pourquoi, enfin, j’ai altéré la pureté de mon modèle, en le revêtant d’un éclat puéril et d’une vaine beauté de corps, c’est ce que vous devinerez peut-être, car, pour moi, je ne le sais plus. Peut-être, en lisant avec un esprit tranquille, ce que j’écrivis avec une âme préoccupée de sa propre douleur, retrouverez-vous dans ce dédale de l’imagination, le fil mystérieux qui se rattache à votre destinée. Moi, qui ai vécu tant de vies, je ne sais plus à quel type de candeur ou de perversité appartient ma ressemblance. Quelques-uns diront que je suis Lélia, mais d’autres pourraient se souvenir que je fus jadis Sténio. J’ai eu aussi des jours de dévotion peureuse, de désir passionné, de combat violent et d’austérité timorée, où j’ai été Magnus. Je puis être Trenmor aussi. Magnus, c’est mon enfance, Sténio ma jeunesse, Lélia est mon âge mûr. Trenmor sera ma vieillesse peut-être. Tous ces types ont été en moi, toutes ces formes de l’esprit et du cœur, je les ai possédées à différents degrés, suivant le cours des ans et les vicissitudes de la vie. Sténio est ma crédulité, mon inexpérience, mon pieux rigorisme, mon attente craintive et ardente de l’avenir, ma faiblesse déplorable dans la lutte terrible qui sépare les deux jeunesses de l’homme. Eh bien ! ce calque n’est pas encore épuisé entièrement. Encore maintenant je retrouve de ces puériles grandeurs et de cette candeur funeste, quelques heures de plus en plus rares et passagères. Magnus avec ses irréalisables