Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/114

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pire la douleur du bonheur perdu, est pleine d’une souffrance cuisante et d’une profonde tendresse. Nous avons déjà parlé de ce journal[1]. Paul de Musset en a certainement profité pour son roman, cela ne fait honneur ni à lui, ni à Alfred, qui l’avait si mal gardé.

Il semble que Boucoiran, pour avoir aidé les deux amants à se séparer l’un de l’autre, se soit cru en droit de condamner Musset ou de dire, du moins, tout ce qu’il pensait de lui. Pour répondre à la question de George Sand, il avait parlé en termes peu flatteurs de Musset, car voici ce qu’elle lui écrivit le 15 mars[2] :

Mon ami,

Vous avez tort de me parler d’Alfred. Ce n’est pas le moment de m’en dire du mal, je n’ai que trop de force, et si ce que vous en pensez était juste, il faudrait me le taire. Mépriser est beaucoup plus pénible que regretter. Au reste ni l’un ni l’autre ne m’arrivera. Je ne puis regretter la vie orageuse et misérable que je quitte, je ne puis mépriser un homme que sous le rapport de l’honneur je connais aussi bien. J’ai bien assez de raisons pour le fuir, sans m’en créer d’imaginaires. Je vous avais prié seulement de me parler de sa santé et de l’effet que lui ferait mon départ. Vous me dites qu’il se porte bien et qu’il n’a montré aucun chagrin. C’est tout ce que je désirais savoir, et c’est ce que je puis apprendre de plus heureux. Tout mon désir était de le quitter sans le faire souffrir. S’il en est ainsi, Dieu soit loué. Ne parlez de lui avec personne, mais surtout avec Buloz. Buloz juge fort à côté de toutes choses et de plus il répète immédiatement aux gens le mal qu’on dit d’eux et celui qu’il en dit lui-même. C’est un excellent homme et un dangereux ami. Prenez-y garde, il vous ferait une affaire sérieuse avec Musset, tout en vous encourageant à mal parler de lui. Je me

  1. Arvède Barine, le vicomte de Spoelberch, MM. Mariéton et Rocheblave en ont d’ailleurs cité des fragments.
  2. Lettre inédite. Arvède Barine en donne aussi des fragments qu’elle date du 14 mars.